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Tout débute en octobre 1976, BYE BYE TURBIN (nom d'un bouquin situationniste de
1973 d'Yves Le Manach - une critique du travail salarié et de la société du spectacle)
affute ses guitares et fait déjà parler la poudre du rock 'n' roll. Les premières
répètes fusent avec au commencement des reprises de Gene VINCENT, Eddie & the
HOT RODS, Chuck BERRY, Johnny KID, Dr FEELGOOD, MOTT the HOOPLE... avec de longues
improvisations trempées de fuzz, de distorsion et de larsen. Elles ont lieu dans
une friche industrielle, une ancienne usine d'engrais où ils élisent le bureau
du PDG pour brancher les amplis ! Le premier concert a lieu au bahut Laplace de
Caen où trois BBT étaient lycéens, engagés dans la création de fanzines porteurs
d'une critique radicale du système... scolaire. Viendront ensuite de nombreux
concerts comme celui de St André dans un "Centre d'Aide par le Travail", le sens
de l'à propos assurément ! "Leur ambition est de secouer les consciences en provoquant
le public par des attitudes rebelles, des textes révélateurs de la réalité sans
fixatif couleur et dotés d'un son garage" lit on dans Crise, fanzine local. Le
groupe est une grenade dégoupillée dans le paysage blafard des dinosaures du rock.
"Appropriation is my hobbie" et les utopies sont voyageuses ! Le groupe est alors
composé de : Vladimir Marcus (chant), Alain "Cheyenne" Gallienne (guitare rythmique),
Erick Gervais (guitare mélodique), Pierre Jugie (1er bassiste) remplacé ensuite
par Bernard Beuneiche, et Philippe Leterrier (batterie). Du rock figuratif, speed
et hargneux où s'exprime via l'urgence des concerts un engagement style meilleures
feuilles de l'ultra gauche communiste libertaire de la fin des seventies, rehaussé
d'une bonne rasade de no future... d'un England Dreaming! Dès 1977, ils créent
leurs affiches, peignent leurs fringues au pochoir, fabriquent artisanalement
leurs brassards, badges, etc. Par la sérigraphie et les premiers tags, ils font
naître leur esthétique punk autonome en réalisant tout eux-mêmes. Do it yourself!
Un look sangles et combinaisons à la CLASH 77! C'est à l'écoute de la BBC ONE,
des émissions de John PEEL qu'ils découvrent les débuts de l'explosion PUNK :
"Anarchy in the UK" des SEX PISTOLS, les DAMNED et surtout le "White riot" des
CLASH. Ils reprendront d'ailleurs en live "White riot", "London's burning", "1977"
et "Capitol radio". CLASH sera une des influences majeures de BYE BYE TURBIN.
Le chant est assuré en anglais. Les premières compositions font leur apparition,
riffs acérés et voix bluesy rocailleuse et poussière d'acier : Taxi driver, CES
Pailleron, Dying for life, KCP, Number 6, Upper class hero, Pretty faces. Les
concerts sont des événements voisins de la rubrique faits divers dans le désert
local. Ainsi lors d'un set du groupe à la MJC d'Hérouville St Clair en septembre
1978, celle-ci fraîchement repeinte sera recouverte de graffitis par le roadie
de BBT. Le défi est lancé... de nombreux tags suivront sur les murs de "Caen préserve
son calme" ! BBT inaugure des concerts alternatifs. Ils organisent le premier
du genre "Un rock différent dans une ville indifférente" aux côtés de BREAK UP,
EMEUTE et R.A.S. le 24 mai 1978. 1978 toujours, le gang caennais passe par un
studio à Bayeux où est enregistré sur un 2 pistes KCP (welcome to the musical
concentration camp), Number 6, 1978, Let's loot the shopping center, Lobotomania.
Brûlots punk internationalistes des BBT City Rockers! Autre fait marquant de cette
année, BYE BYE TURBIN gagne le tremplin du Golf Drouot devant OVERDOSE (du simili
DOORS). Rythme infernal, fébrilité du chant éructé, plus deux doigts de destroy,
genre 17 morceaux en 35 minutes, BBT sera un des premiers groupes Punk à être
reconnus par un jury de journalistes de Rock & Folk, Best et tutti quanti. Dans
le public, on devine des membres d'OBERKAMPF, OLIVENSTEINS, EDITH NYLON et METAL
URBAIN. Début 79, c'est la grande remise en cause. Vladimir et Philippe quittent
alors le groupe pour fonder CHECKMATE avec Philippe, l'ex guitariste de BREAK
UP. Le groupe prend du recul, conscient des limites de son discours : ne pas tomber
dans le piège de la distraction spectaculaire en devenant des pros du style groupe
rock revendicatif ! Au changement de chapitre, BBT injectera du second degré et
du groove jamaïquain dans son roots rock radical... ! L'aventure continue avec
un nouveau line-up : Alain "Cheyenne" Gallienne (chant/guitare rythmique), Erick
Gervais (guitare mélodique), Bernard Beuneiche (basse) et Patrick Lehoux (batterie).
Le look change, l'urgence demeure ! Ils décident de troquer leur tenue de combat
urbain pour l'ironie des chemises hawaïennes et l'éclatement des codes vestimentaires.
Place au nouveau répertoire... sans rien renier de leurs idées. Chemisettes bariolées
from Barbès et treillis contre la grisaille ambiante. Rock Against Travail - Qui
est in, Qui est out ? Le fun est maladif car les frontières du pire n'existent
pas ! Le bruit et la fureur de la révolte d'enfants perdus s'expriment en français
cette fois; les répètes ont lieu quand ils ne sont pas expulsés par les voisins
pour cause de délit de faciès et de tapage décibelique. Les compos ont pour titre
: Lobotomie, Louise Brown (hommage au premier bébé éprouvette), Souvent le matin,
Répéter des milliards de fois, German trip, Balai-Pagaie entre autres. Les reprises
balancées en concert sont celles des SLICKERS (groupe jamaïquain rock steady 60's),
Chris SPEDDING et les CLASH. L'influence du punky-reggae à cette période se fait
entendre. 1979 : sortie du premier 45 tours deux titres "Balai-Pagaie / Mon image
sous cellophane", réalisé sur un 16 pistes en banlieue parisienne dans un improbable
studio tenu par un type complètement fêlé, produit par BBT et distribué par "Sweet
Harmony" label indé de Caen créé par Alain Tran Duc. Bonnes critiques de cette
galette dans la presse rock et sur les radios nationales et locales. Programmé
à l'antenne par Patrice Blanc Francard sur France Inter, Jean Bernard Hebbay sur
RTL, Alain Maneval la nuit sur Europe 1 ou Gogo dans "La Musique dans la peau"
sur Radio Basse Normandie en juin 80. 1980 verra la sortie du second 45 tours
trois titres "Olivenstein / Pauline / Métro Sèvres Babylone", réalisé par Lionel
Hermani, disquaire et patron du label Mélodies Massacre de Rouen et distribué
par Sweet Harmony. Scud enregistré cette fois-ci sur un 24 pistes au studio "DB"
à Rennes. Il est cinq heures du mat et l'ingé son somnole sur sa console, BYE
BYE TURBIN assurera lui-même son mix. Les concerts sont nombreux pendant ces deux
années. BBT et leur coup de poing musical visitent diverses MJC dans l'Ouest,
le Gibus et le Rose Bonbon à Paris, le Palace de Cabourg, l'UBU à Rennes et une
des toutes premières éditions du Printemps de Bourges devant un public de babas
endormis... BYE BYE TURBIN est à l'affiche de concerts ou festivals avec STARSHOOTER,
BIJOU, STINKY TOYS, TAXI GIRL, SUICIDE ROMEO, les DOGS et beaucoup d'autres. Le
groupe veut le plus possible occuper la scène, se faire connaître en rencontrant
le public, donnant le meilleur de lui-même en live. Rock gorgé d'énergie, métissé
de ses influences, Rock Against Racism, BBT joue sur le fil tout en zigzaguant
sur la ligne blanche. Bouillonnant combo au bord du ravin, pris dans l'ambivalence
de l'horrible élan vers la destruction, Punks not dead! London Calling upon the
zombies of death! Témoins d'un monde en plein changement, face au mur de l'industrie
musicale, BYE BYE TURBIN en perdition du Complete Control, se saborde à l'aube
des eighties, les années fric, annonciatrices du bling bling! A partir de 1981,
Alain "Cheyenne" Gallienne sévit sur les toutes nouvelles "radios libres", réalise
la pochette de la compilation "Rock à Caen 85" et écrit pour Denemours, rocker
underground caennais et Les SNARK. Patrick Lehoux rejoint LABEL PUBLIC. Erick
Gervais (chant/guitare) et Bernard Beuneiche (basse) fondent tout d'abord le groupe
MISFITS avec Patrick Pannier comme batteur, puis ensuite avec le même line up,
ce sera Les VALENTINO.. |