C'était
hier, tout juste une trentaine d'années. En ces temps là, vers 1976/1977, Nice
était un peu loin de tout. Londres, L.A., New-York, Paris... ça bougeait dans
tous les coins, le rock de retour, on voyait presque une révolution dans le fait
d'échanger chichon et patchouli pour Valstar et Fringanor. Dans notre petit coin,
tout en bas à droite, nous étions à distance propice aux rêves et aux légendes.
Manière polie, en fait, de dire que nous n'avions rien ; pas de concerts, pas
de salles, pas de disquaires mais une police municipale tout occupée à ce que
Nice reste une «ville de vieux». Du coup, sans doute à cause de cette pénurie,
de cet éloignement et toujours un peu complexés de ne pas être à l'un des ailleurs
fantasmés, nous avons dû, avec les moyens du bord —le Findlater's de la rue Lépante
ou le She She Club des hauts de Cagnes en guise de CBGB ou de Max's Kansas City—
inventer notre propre scène rock. En plus petit mais néanmoins une scène rock...
Une vraie, avec personnages hauts en couleur, lieux, intrigues, stars et suiveurs
et, le plus important, une véritable attitude et un VRAI SON. Difficile, à l'écoute
de ces bandes enfin exhumées, d'imaginer que rien ne soit sorti à l'époque. Parmi
la floraison de groupes pionniers du rock niçois, Dentist était un cas un peu
à part. Bien moins punk (même si le mot semblait avoir été inventé directement
pour Frank Durban) que rock n' roll. D'ailleurs, comme dans une suggestion linguistique
de ce classicisme, on avait plutôt tendance à dire «les» Dentist, comme on disait
«les» Stooges, ou «les» Flamin' Groovies ou surtout «les» Saints, le groupe contemporain
dont les niçois étaient le plus cousins. Sans le faire exprès, un peu au hasard
d'amitiés remontant aux années de lycée, Dentist avait retrouvé l'alchimie des
grands combos énervés. Un chanteur/hurleur, François "Bebe rt" Albertini,
indéboulonnable star locale, planté derrière son micro comme personne n'osait
le faire de ce côté-ci de Joey Ramone. Deux guitaristes d'exception et furieusement
complémentaires : à ma droite Jean-Marc Seni, chef d'orchestre intransigeant du
combo et adepte du riff qui saigne, à ma gauche Pierre Nègre, rentré de Londres
pour se joindre au projet, apportant au mur de son la virtuosité économe des vrais
guitar heroes. Enfin une section rythmique, Fifi Lejeune à la batterie et Frank
Durban à la basse, qu'on sentait capable de réprimer dans l'oeuf toute tentation
à la mollesse ou à la digression de leurs collègues. Dentist jouait vite. Dentist
jouait bien. Dentist choisissait à merveille ses reprises de Otis à Radio Birdman,
des Stooges à Question Mark ; que du millésimé... Mais surtout, Dentist parvenait
à écrire dans la foulée de ses modèles, des originaux qui ne sonnaient pas ridicule
ou scolaire. Il y eut ainsi une série de concerts inespérés avec cette formation,
celle présentée sur la face A de cet album issue de sessions de 1978... A partir
de 1979 allait commencer une nouvelle période. Après le départ de Pierre Nègre,
parti former Strideur (groupe majeur de cette scène niçoise) et le bref passage
de Bernard Segard parti former les Bandits (autre grand nom issu de la scène niçoise),
Jean-Marc Seni assumait seul les guitares et le leadership du groupe. A l'image
de certains de leurs maîtres, Flamin' Groovies en tête, Dentist, plus pop, plus
frais, plus léger parvint à se réinventer et entamait une véritable deuxième carrière
sans jamais perdre l'énergie cinglante des débuts. On commençait même à entendre
Bebert chanter, oui, chanter et en français... une évolution qu'illustrent les
titres en face B, issus de sessions de 1979. Un glissement vers un son plus sixties
qui annonçait déjà la suite des événements et la fin du groupe... Fin 80, Dentist
se séparait pour laisser place à l'aventure Playboys. Leur destin aura it-il été
différent si ces bandes étaient sorties à l'époque, si le groupe avait été parisien
ou new yorkais au lieu d'être niçois, s'il avait pu bénéficier de la reconnaissance
qu'il méritait ? Dur à dire. Trente ans après, tout cela n'a plus grande importance.
Restent des souvenirs, des photos (comme celle de Bebert en sheik arabe, improbable
croisement de Question Mark et Ben Laden, flanqué de Frank en légionnaire pour
ce qui devait être un concert de nouvel an au Findlater's), la certitude d'avoir
vécu quelque chose d'un peu magique, et surtout le plaisir de redécouvrir ces
titres, à écouter comme ils ont été conçus : à fond la caisse !. |