Dans un paysage musical français qui s'était cantonné aux influences anglaises, Heimat-los ouvre les horizons en octobre 1983, bien décidé à pousser la brutalité plus loin et à fouiller un champ d'influences encore inexploité dans l'hexagone. Quatre banlieusards de la région parisienne forment ce groupe, unique, précurseur et original. Très vite, les influences du groupe deviennent internationales, des Etats-Unis et de toute l'Europe, s'inscrivant dans la vaste scène hardcore. Discharge, Siege et Inferno ont compté parmi ses influences majeures. Heimat-los ne sacrifie pas la subtilité à la rapidité du tempo, crée et peaufine un style très personnel et distinctif : des mélodies aux accents slaves et aux allures dramatiques et émouvantes derrière un jeu et un son de basse absolument agressifs et profonds. L'apport du groupe est décisif et en constante évolution. Sa démarche internationaliste se manifeste par bien des aspects du groupe. D'abord, le nom : Heimat-los, pour "apatride", "sans nationalité" en allemand. Ensuite, les oreilles dressées vers l'effervescence américaine, allemande, scandinave, italienne, européenne de l'est, brésilienne... Du coup, le groupe découvre un gigantesque réseau d'échange et d'entraide des groupes, fanzines, labels, distributeurs, organisateurs de concerts de la scène hardcore. Enfin, les textes écrits dans une floppée de langues différentes. Le tout tranche avec la scène punk française résolument centrée à l'intérieur des frontières nationales. La reconnaissance viendra d'ailleurs bien plus de l'étranger, en particulier d'Allemagne et de Belgique, où ils furent invités plusieurs fois à jouer et où les 45 tours et l'album du groupe seront mieux accueillis qu'en France. Paradoxalement, c'est au moment où une vraie scène hardcore commence à émerger en France, que le groupe, qui s'orientait vers un style encore plus riche et complexe tout en étant devenu capable d'offrir des prestations scéniques foudroyantes, s'est séparé en septembre 1988. Heimat-los, non content d'avoir été précurseur, compte définitivement parmi les groupes français les plus importants, reconnu bien au-delà des frontières. La réédition des deux premiers 45 tours et de l'album en offrent un puissant aperçu.

1983 : Jean-Claude, Serge, Norbert, François.

De quel milieu social venez-vous ?

Norbert - Je viens d'un milieu ouvrier. Ma mère était secrétaire et mon père maçon-carreleur.

François - Je suis issu de la classe moyenne.

Jean-Claude - Pareil.

Serge - Je viens d'un milieu relativement aisé.

 

Comment vous êtes-vous intéressé au punk ?

Norbert - Je devais être en seconde lorsque j'ai entendu le premier album de Clash. De fil en aiguille, je me suis forgé une culture punk. Avant, j'écoutais du hard rock.

François - Au collège, je n'écoutais déjà pas la même chose que les autres. Comme il n'y avait pas Internet à cette époque, je lisais des vieux numéros de "Rock & Folk" à la bibliothèque municipale et j'empruntais les disques de rock qui me semblaient intéressants à la discothèque : Beatles, Pink Floyd, puis AC/DC et Motorhead en 1980. C'est comme ça que j'ai découvert le punk peu après, en empruntant pour commencer des disques des Ramones et de Buzzcocks. Ensuite, j'ai vu un concert des Ramones retransmis à la télévision.

Jean-Claude - Le premier groupe que j'ai découvert, comme beaucoup de monde, c'est Sex Pistols. J'ai vu Plastic Bertrand invité dans une émission télévisée de Michel Drucker, et il a mentionné Sex Pistols. Je n'en avais jamais entendu parler. Moi j'écoutais AC/DC, Stooges et même Kiss, Status Quo. A l'époque, j'habitais à Ermont dans le Val d'Oise. Je vais chez le disquaire du coin et je demande à la vendeuse si elle a Sex Pistols. Elle me dit " les Beatles ? ". Ça commençait bien ! Finalement, j'ai eu le disque et j'ai découvert ça chez moi.

Serge - J'ai écouté les Beatles, puis un peu Rolling Stones. Ensuite, il y a eu Lou Reed, Alice Cooper. Ensuite, j'ai accroché sur Téléphone et Bijou vers 1977-78, et de fil en aiguille le punk avec La Souris Déglinguée, OTH...

 

Pour vous, le punk, c'était plus que de la musique ?

Norbert - Au début, c'était le son et l'énergie que ça dégageait qui me plaisait. J'aimais bien le côté simple et efficace. Le côté "No future" ne m'a jamais vraiment intéressé. J'allais à l'école, je n'avais pas l'intention de tout arrêter. Un an après avoir commencé à écouter du punk, j'ai eu un look, style cuir et Rangers, pas vraiment extravagant. Je me souviens qu'un prof de maths m'a dit : c'est fini le carnaval".

François - Dans chaque mouvance du rock, il y a un esprit et des formes spécifiques qui vont avec. Le punk c'est juste plus radical.

Jean-Claude - Très vite, j'ai compris que c'était un mouvement de jeunes prolos. J'aimais autant la musique que le choc visuel et l'aspect politique.

Serge - J'avais l'impression de me découvrir au travers de cette musique. C'était une musique qui me traversait. Et je n'ai jamais vraiment eu besoin d'avoir un look pour extérioriser ça.

1983 : Norbert.

Comment vos parents voyaient ça ?

Norbert - Je pense que mon père s'en foutait. Ma mère était inquiète, parce qu'elle pensait qu'avec mon look j'allais m'attirer des ennuis. Mais il n'y a jamais eu d'interdiction de leur part.

François - Mes parents n'aimaient ni la musique ni le look punk.

Jean-Claude - Quand je me suis fait un look, j'étais déjà majeur. A 18 ans, j'étais déjà parti de chez mes parents, je travaillais et j'habitais dans un studio. Donc je faisais ce que je voulais. J'avais une veste militaire avec un " A " cerclé que j'avais peint dans le dos. Mais je me suis fait tellement emmerdé et même cassé la gueule que j'ai abandonné rapidement le look trop voyant. Les cheveux violets, ça a duré une semaine, pas plus !

Comment vous êtes-vous tourné vers le hardcore ?

Norbert - Comme beaucoup, j'ai commencé à écouter les groupes punk anglais. Et puis, avec des potes, on a commencé à chercher ce qui se faisait ailleurs. Pour moi, il n'y a jamais eu de scission entre ma période punk et ma période hardcore.

François - De manière naturelle. J'écoutais une musique agressive et j'ai voulu découvrir des choses encore plus extrêmes. Mais à l'époque, je ne me suis pas dit que je voulais écouter un nouveau genre, c'est juste une évolution naturelle. Je me souviens avoir entendu Discharge, un groupe punk anglais, à la radio, et avoir senti une évolution plus agressive. La première fois que j'ai entendu du hardcore c'était Rattus, un groupe finlandais, à la radio.

Jean-Claude - Quand j'ai découvert Bad Brains, Discharge et GBH, je me suis dit que la France manquait de groupes rentre-dedans. D'ailleurs, je crois que je rêvais d'avoir le son de Discharge, chose qu'on a jamais eu.

 

Avez-vous fait d'autres groupes avant Heimat-los ?

François - J'ai acheté une guitare et pendant longtemps j'allais jouer avec un batteur qui habitait un pavillon à Bezons. Différents musiciens venaient et on improvisait. Selon les fois, ça ressemblait à du metal ou du psyché planant. Le batteur était fan de ZZ Top, et je ne trouvais pas ce qu'on faisait assez rentre-dedans. Ensuite, j'ai fait quelques répétitions avec Les Cat's Merd, dans lequel Serge jouait de la batterie. C'était un groupe un peu dans le genre des groupes de la compilation " Chaos en France ". Mais comme j'habitais à Courbevoie en banlieue nord ouest et eux répétaient à Palaiseau, en banlieue sud, ça me faisait trop loin et j'ai abandonné au bout de trois répétitions.

Jean-Claude - J'ai commencé par jouer dans un groupe blues rock, qui n'avait pas de nom, et on a juste joué dans un bal. J'écoutais déjà du punk mais je ne trouvais aucun musicien qui avait les mêmes envies que moi. J'avais connu un type qui avait plein de disques et qui m'a fait découvrir Buzzcocks, The Jam, Stiff Little Fingers... Il voulait qu'on fasse un groupe ensemble mais il n'arrivait pas à se décider s'il voulait jouer de la guitare ou de la basse. Un jour, il m'a dit qu'il s'était décidé pour la basse. C'était trop tard, j'en jouais déjà. Alors j'ai formé Spoons avec Manu qui allait devenir le guitariste de Wunderbach et Dilip qui allait plus tard jouer de la batterie dans les Coronados. C'était bien mais je trouvais l'enregistrement pas assez dur. Ensuite, j'ai joué dans Les Electrodes. Eux aimaient bien mon jeu de basse assez nerveux mais moi je me faisais vraiment chier. J'avais envie de faire quelque chose de beaucoup plus brutal et rapide. Romain, le chanteur des Electrodes, qui était plutôt rock, m'avait dit : " je pense que le tempo des groupes punk va augmenter ". J'y ai repensé.

Serge - J'ai fait quelques groupes sans importance dont Les Cat's Merd. Ça ne ressemblait pas à grand chose mais on s'amusait beaucoup.

 

Comment s'est formé Heimat-los ?

Norbert - Jean-Claude et moi habitions le même quartier, à Argenteuil, dans la banlieue nord ouest. On s'est connu en 1982. Un jour, il a répondu à une petite annonce que François avait passé pour chercher des musiciens. Ils se sont rencontrés, ça a collé et il m'a demandé si je me sentais de venir à une répétition pour chanter. J'ai dit oui, sans hésiter. La première répétition, c'était quelque chose de complètement nouveau pour moi qui n'avait jamais fait de groupe. C'était à la fois bizarre et excitant. On a commencé par travailler " B Alarm ", une reprise de Razzia, un groupe allemand. Il a du se passer quelque chose de vraiment fort à cette répétition, parce qu'on a tout de suite décidé que ce groupe ne devait pas continuer si l'un de nous le quittait.

François - En septembre 1983, j'ai passé une annonce dans " Rock & Folk " pour former un groupe punk rapide et original. J'ai mis des groupes en référence, Dead Kennedys, Discharge et Subhumans. Et puis, comme j'aimais bien les groupes plus sombres, j'ai ajouté The Cure et Siouxie & The Banshees. J'ai reçu des tas d'appels de types qui étaient branchés U2, donc ça ne collait jamais. Et puis, un jour, Jean-Claude m'appelle et me dit qu'il sait jouer des morceaux de Dead Kennedys à la basse et qu'il a composé deux titres que jouent Wunderbach. Ça m'a vraiment impressionné. Il est venu me voir, je lui montré des morceaux rapides que j'avais composé et il jouait de la basse par-dessus. C'était au-delà de mes espérances. On a décidé de tenter une répétition. Jean-Claude habitait Argenteuil et il a ramené Norbert, qu'il avait rencontré dans la rue dans son quartier, pour qu'il chante. J'ai rappelé Serge des Cat's Merd, qui a accepté de venir jouer de la batterie. C'était donc la première fois qu'on jouait tous les quatre ensemble et on a tous trouvé que ça fonctionnait vraiment bien et que le courant passait bien humainement. On a décidé de former un groupe ensemble et on s'est fait la promesse que si l'un d'entre nous partait, on ne le remplacerait pas et on arrêterait. Moi, j'avais un ampli trop petit alors on n'entendait pas ma guitare, mais on avait la sensation qu'on faisait un truc bien. Géant Vert, qui était le manager de Parabellum à l'époque, a entendu parler de Serge et m'a téléphoné en pensant qu'il l'appelait lui. Il voulait débaucher Serge pour Parabellum.

Jean-Claude - J'habitais à Argenteuil et ma copine de l'époque m'a dit qu'elle avait croisé un punk dans la rue, pas loin. Un jour, on s'est parlé et on a sympathisé : c'était Norbert. J'ai fait écouter à Norbert la ligne de basse de l'intro de ce qui allait devenir " Warszawa ", que j'avais composé pour lui montrer la vitesse à laquelle j'aimerais jouer. Et ça lui a plu. Ensuite, il m'a fait écouter des groupes de hardcore allemand et je me suis vraiment dit que je voulais faire quelque chose dans cette direction. J'ai répondu à une petite annonce qu'avait passé François, qui connaissait déjà Serge. Et moi, j'ai ramené Norbert.

Serge - Quand j'ai entendu la musique qu'ils voulaient jouer, je suis totalement tombé sous le charme. Je ne savais pas que des gens pouvaient avoir de telles envies en France. J'ai toujours eu envie de jouer vite et eux voulaient faire la même chose. Et ce groupe me défoulait tellement qu'en sortant de répétition, j'avais l'impression d'avoir fait une séance de sport.

 

Comment avez-vous trouvé le nom ?

Norbert - Je ne me souviens pas avoir proposé Heimat (" patrie " en allemand - NDLA) tout court comme nom, mais apparemment ce serait bien moi.

François - A l'époque, dans le milieu punk, on aimait bien les noms en allemand pour l'impact provocateur. D'ailleurs, mes potes allemands avaient toujours du mal à comprendre pourquoi tant de groupes français utilisaient des noms allemands. On a donc trouvé Heimat, qui veut dire " patrie " en allemand. Mais Serge n'aimait justement pas trop le côté ambigu, alors il a proposé qu'on ajoute " los " à la fin du nom. Les deux juxtaposés veulent dire " apatride " ou plus exactement quelqu'un qui a perdu sa nationalité, en allemand.

Jean-Claude - J'étais chez Norbert et on cherchait des noms pour le groupe. Il a suggéré Heimat et je trouvais que ça sonnait bien. Norbert parlait allemand, pas moi. Quand il m'a dit que ça voulait dire " patrie ", je me suis un peu inquiété. Dans une chronique des Electrodes dans un journal alsacien, un article disait que je jouais de la basse comme un pilote de la Luftwaffe (l'armée de l'air allemande - NDLA). Et après ça, j'ai longtemps traîné cette réputation derrière moi, jusqu'à même qu'on me traite de facho. On en a parlé aux deux autres, et Serge n'était pas très chaud, alors on a rajouté le " los ". Au niveau signification, " apatride ", c'est bien. Mais au niveau effet sonore, Heimat claque bien mieux.

06/1986 : Norbert & Nanor (Kromozom 4).

Pour vous, vous faisiez un groupe punk ou hardcore ?

Norbert - François était déjà plus attiré par le versant hardcore que le versant punk classique. Jean-Claude avait déjà une histoire au sein de la scène punk française, et il avait envie de faire quelque chose de plus agressif. Moi j'écoutais déjà quelques groupes de hardcore américains et allemands, justement comme Razzia. Mais pour nous, on avait une évolution naturelle, on ne se disait rien.

François - Moi, je ne connaissais pas encore le mot hardcore lorsqu'on a formé le groupe.

Jean-Claude - Je ne pense pas qu'on utilisait le mot hardcore au début du groupe, mais on savait qu'on faisait quelque chose de différent par rapport au reste du punk français. Ça ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de bons groupes en France, mais on voulait faire autre chose. On savait qu'on avait une forte influence allemande et qu'on voulait accélérer le tempo. Mais quand on a su qu'une scène internationale s'appelait hardcore, on a rapidement eu conscience d'être les premiers à faire ce genre-là en France. Mais le fait d'avoir été les premiers, je m'en fous un peu.

Serge - Je ne connais pas le mot hardcore non plus. En tout cas, j'ai senti qu'ils étaient influencés par des choses qui n'existaient pas en France. A l'époque, je commençais à écouter des groupes allemands comme Slime, Razzia, Neurotic Arseholes. Eux aussi et ça m'avait étonné. Le premier morceau qu'on a répété, c'était une reprise de Razzia, "B Alarm". C'est certainement François qui nous a dit qu'on s'inscrivait dans cette mouvance.

 

La première maquette a été enregistrée très vite après la première répétition ?

Norbert - Oui. D'ailleurs, on n'avait pas assez de morceaux, alors on a repris un titre des Spoons (le premier groupe de Jean-Claude - NDLA) et un de Razzia.

François - Moins d'un mois et demi et j'en suis très fier. C'est d'ailleurs la première fois qu'on jouait sans boire de bière. Jean-Claude avait quitté Les Electrodes quand on s'est formé. Il avait donc quelques compositions pratiquement prêtes. J'avais ramené " Arc en ciel ", une titre que j'avais composé pour Les Cat's Merd. Jean-Claude et Norbert l'ont refusé parce que la musique était trop mélodique et qu'ils avaient trouvé les paroles ridicules. J'ai mal dormi pendant une nuit et puis je n'y ai plus repensé.

Serge - Je ne me souvenais pas qu'on avait enregistré si vite. Ça m'impressionne. En même temps, ce n'était pas terrible non plus.

1984 : Norbert, Fifi (Kromozom 4), Jean-Claude & Joe Larsen (Kromozom 4).

Comment avez-vous rencontré Kromozom 4 ?

Norbert - En tout cas, ça a été une très belle rencontre. Le lien s'est fait tout de suite et on était bien ensemble.

François - Le premier membre de Kromozom 4 que j'ai rencontré, c'est Gaz, en juin 1984. Il est venu à l'enregistrement de notre deuxième maquette. Et en écoutant, il s'est roulé par terre, et au lieu de dire " ça a la pêche ", il hurlait : " ça a la prune ! ".

Jean-Claude - On s'est tout de suite bien entendu, et on ne s'est plus quitté. En plus, on arrêtait pas de se chambrer et de se lancer des petites piques... c'était très sympa. Et quand Kromozom 4 a accouché du morceau " Halloween " (un titre plus lent, tendu et froid, influencé par Killing Joke - NDLA), j'ai trouvé ça mieux que Heimat-los. J'aurais voulu être leur bassiste. J'aimais bien leurs morceaux, leur son et leur côté fun. J'ai toujours été comme ça. A l'époque où j'étais dans Spoons, j'aurais voulu être bassiste de Wunderbach, qui existait déjà et avec qui on était très potes.

Serge - Je connaissais Gilles qui jouait de la batterie et je l'ai présenté au reste de Kromozom 4 qui cherchait un batteur. Ils jouaient vite également, mais un peu comme un groupe punk français qui aurait accéléré le tempo, alors que nous on lorgnait du côté des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la Scandinavie... Mais j'aimais bien aussi. Et on s'entendait bien. On se donnait notre avis sur nos nouveaux morceaux respectifs, des conseils.

Gaz (Kromozom 4) & Jean-Claude.

Au début, c'est le seul autre groupe de hardcore que vous connaissez ?

Norbert - Oui, d'ailleurs très vite, on se marrait à avoir une petite compétition : c'était à celui qui arriverait à jouer le plus vite. On a évidemment gagné (rires).

François - En fait de hardcore, Kromozom 4 c'est plutôt du punk anglais très accéléré. Quelques temps après, on a découvert Final Blast, de Pontarlier, également très influencés par le punk anglais. Le premier groupe vraiment extrême qui nous a contacté, c'est Rapt, de Vernon. Il y avait vraiment peu de groupes.

Jean-Claude - Je me souviens de Rapt et puis un peu plus tard de Flitox. On avait le sentiment d'être un peu moins seuls.

 

Comment avez-vous signé pour un premier 45 tours sur New Wave Records ?

François - Marsu, qui manageait Lucrate Milk et Berurier Noir, faisait une émission punk, " War Dance ", sur une radio libre. Je l'appelle pour lui donner la deuxième maquette de Heimat-los pour qu'il la diffuse. Il me dit de passer chez lui. J'y ai d'ailleurs croisé François, le chanteur de Berurier Noir, qui venait de se faire voler leur boîte à rythmes. Bref, je fais écouter la cassette à Marsu, qui me dit " c'est con, je connais des gens qui auraient certainement mis un titre sur leur compilation qu'ils vont sortir, mais elle est déjà bouclée ". Malgré tout, Marsu a appelé Patrice et Aline du label New Wave Records pour leur faire écouter et on s'est retrouvé in-extremis sur la compilation " 1984 The First Sonic World War ". Dans la foulée, le label nous a proposé de sortir un 45 tours.

Jean-Claude - On a eu de la chance que Marsu écoute, parce qu'au début, il n'y avait vraiment pas grand monde qui s'intéressait à ce qu'on faisait.

 

Comment s'est passé l'enregistrement du 45 tours ?

Norbert - Je me souviens que c'était au milieu de nulle part, un peu dans la campagne de l'Essonne. C'était un tout petit studio, aménagé dans le garage de la maison de Bob Mathieu. Je me souviens surtout l'effet que ça m'a fait quand j'ai eu le disque fini dans mes mains... un aboutissement.

François - Taki de Kromozom 4 nous a conseillé le studio dans lequel il avait enregistré avec R.A.S.. Ça s'est bien passé. Je m'étais bourré de vitamine C pour avoir la pêche. A l'époque, je n'avais pas trop d'opinion sur le son que devait avoir la guitare, alors j'ai fait confiance à Bob Mathieu qui était l'ingénieur.

Serge - Bob Mathieu ne nous a pas fait vraiment le son qu'on aurait voulu, mais il était très sympa. De toute façon, on n'était pas encore très bon. Lorsque j'écoutais les instruments séparément au studio, ça ne me semblait pas très bon. C'est quand le tout jouait ensemble que chacun couvrait les erreurs des autres. Du coup, le résultat était sympathique.

06/1986 : Norbert (chant), Jean-Claude (basse).

Quelles étaient les spécificités de Heimat-los ?

Norbert - La basse, la façon de jouer de Jean-Claude, le son. Et ça, mélangé au jeu de François, ça donnait quelque chose d'original. Et Serge était le batteur qu'il nous fallait.

François - L'élément le plus important c'est le son de basse puissant et le jeu rapide de Jean-Claude : c'est un style impressionnant. Sinon, on a cherché à jouer de plus en plus vite. Et dès que nos morceaux dépassaient deux minutes, on finissait avec des crampes au bras très douloureuses. Dès le début, je trouvais qu'on faisait quelque chose de bien. J'avais autant de plaisir à écouter la musique des groupes que j'aimais que la mienne.

Jean-Claude - La plus grande des spécificités c'est l'apport des mélodies slaves. J'ai composé " Warszawa ", ce qui a peut-être donné une direction au groupe, mais là-dessus, François était totalement sur la même longueur d'ondes que moi. C'est d'ailleurs ce qui a accroché la plupart des gens. On me parle du son de basse. Bon, d'accord, j'avais une attaque assez brutale, mais en matière de son de basse, Stranglers et Dead Kennedys ont fait nettement mieux.

Serge - Jean-Claude était le seul à posséder un son. C'était d'ailleurs le seul vrai musicien. Par contre, les influences venues du monde entier, ça venait de François, qui a vraiment voulu internationaliser notre démarche. Dans un premier temps, notre musique c'était de l'énergie brute. Le groupe mettait le plus de notes possibles dans un minimum de temps.

 

Comment voyez-vous chaque membre du groupe ?

Norbert - François est un ovni. Il n'a pas l'apparence de ce qui se passe dans sa tête. On a du mal à l'identifier comme un punk, et en même temps il se passe des choses incroyables dans sa tête. D'abord, il a un nombre incroyable d'idées. Et puis, c'est quelqu'un d'une grande simplicité, facile à vivre. Serge est quelqu'un qui a toujours le mot pour rire, qui aime déconner, toujours d'humeur joyeuse. Paradoxalement, c'était un grand angoissé. Il ne supportait pas les concerts. A peine on venait de commencer, il voulait déjà qu'on arrête. Jean-Claude m'impressionnait par son parcours musical. C'est un bassiste hors-pair. Parfois, il était un peu torturé et il avait un sacré caractère. Mais c'est quelqu'un qui possède de grandes valeurs humaines, comme la fidélité et la disponibilité.

François - Norbert est quelqu'un d'impulsif qui sait ce qu'il veut rapidement, presque de manière instinctive. Serge est quelqu'un de très relax et qui en même temps ne se laisse pas faire. Il sait aussi se montrer très persuasif. On doit sans conteste beaucoup à Jean-Claude pour le son du groupe. Et puis, il a composé la plupart des morceaux. C'est l'élément le plus créatif du groupe. Côté caractère, c'est quelqu'un qui peut être très enthousiaste un jour et plus démotivé un autre. Norbert et Serge savaient très bien l'encadrer, lui redonner de l'équilibre.

Jean-Claude - Norbert, c'était vraiment le chanteur qu'il nous fallait. Il avait quelques carences dans la palette des possibilités vocales, mais au fil des années, il a pris de l'assurance, jusqu'à acquérir une vraie présence scénique. Avec François, j'avais souvent des divergences, mais je lui suis très reconnaissant de m'avoir ouvert à tous ces groupes hardcore du monde entier. Sur le plan humain, c'est quelqu'un d'une grande gentillesse et de très bon cœur, que j'apprécie beaucoup. Et Serge avait un sacré jeu de batterie.

Serge - Je dirais que François est un doux dingue. Norbert est plus posé. Et Jean-Claude avait une rage en lui qu'il faisait passer dans son jeu de basse. Je m'entendais très bien avec lui, mais il avait parfois un caractère un peu dur. Je crois qu'il avait parfois besoin de libérer de un trop plein d'énergie. Souvent, c'est François qui prenait. Mais je crois que François s'en foutait un peu, que ça lui passait un peu au-dessus de la tête.

[ Compte rendu de diffusion de radio Graouley. ]
 

Comment a été accueilli le 45 tours ?

François - Au début, ça n'intéressait pas grand monde. Mais au bout de quelques mois, ça a commencé à décoller. Le fanzine " Alienation " l'a classé meilleur 45 tours de 1985.

Jean-Claude - Il n'y avait pas de scène hardcore en France. Du coup, au début, on a été rejeté totalement. Beaucoup pensaient qu'on faisait de la merde.

Serge - Moi ça m'étonnait beaucoup que ce qu'on faisait puisse plaire, parce que je savais que c'était nouveau. C'était motivant et plaisant.

30/03/1985 : Jean-Claude (basse), Norbert (chant), Serge (batterie), François (guitare).

Quels souvenirs gardez-vous de votre premier concert ?

Norbert - C'était à Massy, avec Morsüre, peut-être le premier groupe de thrash metal français... des potes à moi. Je me souviens qu'il y avait eu de la baston à l'extérieur de la salle. Je n'ai pas le souvenir qu'il y ait eu beaucoup de monde, moins de cent en tout cas. Bizarrement, le moment dont je me souviens le plus, c'est d'avoir chanté avec Morsüre lorsqu'ils ont repris " Drunk With Power " de Discharge, parce que je sentais qu'il y avait une puissance terrible. Je me souviens plus de ça que de notre propre set.

François - On devait jouer avec Kromozom 4 à Massy, mais le chanteur, Gaz, n'était pas à Paris à ce moment-là. Du coup, on a joué avec Morsüre. C'était des potes de Norbert et Jean-Claude. Il y a eu un peu de baston entre des punks et des skinheads à l'extérieur de la salle. Du coup, suite à ça, la mairie de Massy a interdit les concerts punk. Pour moi, tous les concerts ont été marquants, chacun dans son genre. Par exemple, on a joué dans un concert organisé par les Jeunesses communistes. Personne ne nous regardait, à part un mec. A un moment, un père de famille s'est approché avec son fils et lui a dit : " tu vois, c'est ça des punks ".

Jean-Claude - Le public était surtout punk. Du coup, ils ont rejeté Morsüre parce qu'ils avaient un look plutôt metal. C'est dommage parce que Morsüre était vraiment un sacré groupe. Ils auraient mérité de signer sur un label étranger et de rayonner à l'international.

Serge - J'ai trouvé ça sympa, même s'il n'y avait pas grand monde. Je n'ai entendu parler des embrouilles à l'extérieur qu'après.

 

C'est à ce moment-là que le label Madrigal a voulu vous signer ?

Norbert - Ils voulaient qu'on ai un autre style de chant, ce qui était une manière de dire qu'il fallait changer de chanteur. Je crois qu'ils voulaient aussi qu'on adopte un style plus mélodique. Nous, on ne voulait rien toucher.

François - Morsüre venait de sortir leur album Madrigal. Ils ont proposé de nous signer, à la condition qu'on change la voix. On a évidemment tout de suite refusé.

Jean-Claude - Madrigal aurait voulu une voix à la Vulcain ou Sortilège, les groupes de hard de l'époque. Il n'en était pas question. Je pense que nous n'avons jamais fait aucune concession sur ce qu'on voulait faire. On préférait avoir un petit public plutôt que de changer notre musique.

D'où est venue l'habitude de vouloir communiquer avec le monde entier ?

Norbert - Ça vient de François qui était tellement curieux de ce qui pouvait se faire ailleurs, qu'il avait besoin d'aller fouiller. Finalement, heureusement qu'il n'y avait pas Internet à l'époque, parce qu'il serait devenu fou avec les possibilités infinies de découverte. François était incroyable, il avait toujours quelque chose de nouveau à nous faire écouter. Des groupes issus de pays où on ne soupçonnait même pas qu'il puisse se faire ce genre de musique. On a eu accès à peu près à tout ce qui se faisait, de la Scandinavie au Brésil.

François - Je me souviens avoir entendu à la radio un morceau de Rattus, le groupe finlandais, que j'avais adoré. J'ai donc cherché un peu partout où me le procurer et je suis tombé sur une compilation de hardcore suédois, " Really Fast volume 1 ", chez un disquaire. Je me suis dit que c'était peut-être le même style alors je l'ai acheté. J'ai appris plus tard que c'était Patrice de notre label New Wave Records qui l'avait vendu à la boutique. Le son de la compilation était pourri mais je trouvais les groupes bien meilleurs qu'en France. Ça m'a vraiment motivé pour chercher ce qui se passait dans un maximum de pays. J'ai écrit au label, fait des échanges de disques. J'ai reçu des disques du Danemark et de Finlande. Ensuite, j'ai écrit à Alternative Tentacles, le label de Dead Kennedys, et j'ai reçu une réponse de Jello Biafra, leur chanteur. On s'est mis aussi à échanger des disques. Il a une très bonne culture musicale internationale et il avait quatre groupes français préférés : Métal Urbain, Les Thugs, Magma et Heimat-los. Après, j'ai découvert le fanzine américain Maximum Rock'n'Roll et j'ai écrit à de nouveaux contacts. Et de fil en aiguille, j'ai eu plein de correspondants dans le monde entier, dont Calv, le bassiste de Heresy, le groupe anglais, qui était fan de Heimat-los. C'est comme ça que Heimat-los s'est fait connaître en ex-Yougoslavie ou au Brésil. Je suis devenu un fanatique de la correspondance. Au début, on s'échangeait des informations sur les groupes, et puis peu à peu on devenait potes et on se racontait nos vies. C'était Internet avant l'heure, une sorte de réseau international, mais où il fallait attendre deux semaines la réponse et les disques. J'ai appris à mettre du savon sur les timbres et à demander à ce qu'on me les renvoie. Je virais la pellicule de savon et les coups de tampon qui étaient dessus et ça me permettait de réutiliser les mêmes timbres à l'infini pour économiser de l'argent. Ces correspondances internationales permettaient de faire connaître le groupe à l'étranger et aussi de se tenir au courant de toutes les nouveautés du monde entier. Ainsi, par Olivier, le bassiste de Rapt, j'ai connu Siege, le groupe de Boston, qui a été une influence majeure pour Heimat-los. Notre morceau " Brutal Thanksgiving " est très influencé par " Conform " de Siege. Heimat-los c'est un peu du punk anglais et allemand très accéléré avec des influences américaines.

Jean-Claude - François nous faisait découvrir des groupes du monde entier. C'est est même devenu chiant, parce qu'on découvrait des choses tellement incroyables et différentes les unes des autres, comme Siege et Victims Family par exemple, qu'on ne savait plus vers où se diriger.

Serge (batterie).

A un certain moment, n'avez-vous pas le sentiment de vous inscrire dans une scène différente de la scène punk ?

François - Je n'ai jamais pensé qu'on ne faisait pas partie de la scène punk, mais j'ai pensé qu'il n'y avait pas assez de groupes de notre genre dans la scène punk française.

 

Comment qualifieriez-vous les textes du groupe ?

Norbert - Avec le recul, je trouve mes textes vraiment simplissimes. Mais en même temps, je crois que c'est ce qu'il fallait pour notre musique, des textes simples et directs. Au début, la musique était très brute, il fallait donc des textes en correspondance.

François - Ce sont souvent des textes critiques sur plein d'aspects de l'Humanité. On s'est inscrit dans une tendance du moment, initiée par Discharge, qui a écrit des tas de textes sur la guerre. Certains autres titres proviennent de la passion de Norbert et Jean-Claude pour les films d'horreur.

Jean-Claude - On voulait faire des textes politisés, mais ils ne l'étaient pas tant que ça. Et puis, on voulait aussi se distinguer des autres dans la forme. Au début, on a décidé que les textes seraient en allemand, ce qui est plutôt mal perçu en France. Même dans le milieu punk, auprès de générations qui n'ont pas connu l'Occupation allemande, il demeure un fond de germanophobie. Je trouve que l'allemand sonne vraiment bien pour une musique comme le hardcore. On a eu aussi quelques textes en anglais. Mais ce sont des langues qu'on ne maîtrisait pas tant que ça. Du coup, ça nous obligeait à écrire des textes plutôt simples. François maîtrisait l'anglais bien mieux que nous, mais il ne nous l'a jamais dit, alors qu'il aurait du corriger nos textes et même s'investir davantage dans l'écriture. Je crois qu'il n'a pas osé. Par contre, je pense que c'est François qui a suggéré de chanter des textes dans d'autres langues, qui nous étaient d'ailleurs parfaitement inconnues. François avait des tas de correspondants dans le monde entier. Du coup, il leur demandait de traduire certains de nos textes dans leur langue.

Serge - Les textes ne m'intéressaient pas. J'ai toujours pensé que la musique n'était pas faite pour faire passer un message. Pour moi, la voix doit être le quatrième instrument. Mais j'aimais bien le fait de chanter dans plein de langues différentes. Ça me faisait rire.

 

Comment étiez-vous perçu par le public ?

François - On était un peu à part. Mais en fait, on était juste un groupe de la scène punk avec une démarche plus agressive et extrême.

 

A Dijon, c'est la première fois que vous avez reçu un très bon accueil ?

Norbert - Ça a été notre véritable première rencontre avec un public.

François - Oui, on jouait en première partie de D.O.A. En novembre 1985. C'est la première fois que la salle entière bougeait sur notre musique. Il y avait même un type qui avait notre nom peint sur son cuir.

Jean-Claude - La scène n'était pas très haute, ce qui a fait que le public était vraiment avec nous. Je me souviens, lorsqu'on a joué "Partisans", une reprise du chant des partisans russes, que les membres de D.O.A. hallucinaient sur nous.

26/09/1987 : Jean-Claude (basse), Serge (batterie), Norbert (chant), François (guitare).

A partir de 1986, il y a plusieurs nouveaux groupes hardcore qui se forment en France. Quel regard portez-vous sur eux ?

Norbert - Je crois que je ne me souviens d'aucun groupe. Ils n'ont pas du me marquer. De toute façon, on n'a jamais joué avec eux pour la plupart, alors je n'ai jamais eu l'impression qu'une scène était en train de se construire.

François - Ce sont tous les groupes qui sont sur la compilation " Rapsodie ". J'étais content de constater qu'il y avait de nouveaux groupes.

Jean-Claude - Ces groupes sont arrivés un peu tard pour nous. Soudainement, j'ai eu le sentiment d'être devenu un papi du hardcore.

François, Nounours (Kromozom 4) & Norbert.

L'idée de faire des disques en commun avec Kromozom 4 émerge vite ?

Norbert - Il y avait une vraie complicité entre les deux groupes. Du coup, ça coulait de source. On était finalement deux groupes très différents, dans les influences et dans le style des textes. Mais on n'aurait pas fait de disques en commun avec un autre groupe.

François - Oui. On était potes, on faisait des concerts ensemble et l'idée de faire un album ensemble est venue rapidement. Ensuite, est venue l'idée de commencer par un 45 tours commun annonçant l'album futur.

Jean-Claude - Au moment de faire le 45 tours avec Kromozom 4, nous n'étions pas satisfaits du seul enregistrement dont nous disposions. De toute façon, la plupart du temps, on n'a pas réussi à obtenir en studio le son qu'on cherchait. Je crois que d'une manière générale, j'étais mécontent de tout : nos compositions, nos répétitions, nos enregistrements et nos concerts. Je crois que je voulais qu'on soit les meilleurs. Et comme on ne l'était pas, ça m'énervait. Je pense qu'on ne répétait pas assez et qu'on n'a pas assez fait de concerts.

12/1986 enregistrement de l'album - François.

12/1986 enregistrement de l'album - Serge (batterie).

Quels souvenirs conservez-vous de l'enregistrement de l'album ?

Norbert - J'en garde un bon souvenir... des petites anecdotes qui me font rire. Par exemple, Serge a ré-enregistré un coup de cymbale sur un morceau pour cacher un pain de batterie. On n'a pas réussi à avoir le gros son qu'on espérait, mais c'était une bonne expérience. Jean-Claude était un perfectionniste, alors je suppose qu'il n'y a pas tout à fait trouvé son compte. On aurait peut-être du enregistrer en Allemagne. Des groupes comme Spermbirds ou Jingo De Lunch ont réussi à sortir un son pas mal.

François - C'est un bon souvenir. Norbert et Jean-Claude n'étaient pas contents des prises faites le premier jour, alors on a tout ré-enregistré lors de la séance suivante. C'est lors de l'enregistrement de l'album que j'ai découvert, sur "Fascios fora !", que ça sonnait très bien de laisser sonner un accord sur la longueur avant de me remettre à gratter les cordes. Avant, je ne le faisais jamais parce que je trouvais que c'était de la triche de vouloir jouer vite en ne grattant pas tout le temps les cordes. Et puis, à un moment, l'ingénieur du son a effacé par erreur une petite partie de batterie sur "Slam", et finalement ça a donné un break intéressant. Je me souviens aussi que pendant le mixage du morceau "De Vlag", je me suis reposé pendant une heure... et en fait, c'est un titre où on entend un peu moins la guitare. Il y a aussi un morceau en acoustique, "Last Train To Tucson", interprété par Jean-Claude. Au moment de l'enregistrer, il ne voulait plus le faire. Serge l'a emmené boire quelques verres au bar du coin, et à leur retour, il l'a finalement enregistré. Il pouvait y avoir parfois des moments un peu tendus, mais en général, l'ambiance était très bonne.

Jean-Claude - J'ai l'impression qu'on est parti dans trop de directions différentes. Grâce à François, on avait accès à tellement de groupes différents, qu'on a eu tendance à se laisser trop influencer. Peut-être que notre son donnait une cohérence à tout ça. "Assisté" est sans doute le meilleur morceau de notre face. On s'est très bien entendu avec Christophe, l'ingénieur du son qui a mixé l'album. Et un ingénieur du son qui aimait vraiment ce qu'on faisait, c'était assez rare. Il pensait cependant qu'on jouait trop vite et que qu'on ne laissait pas le temps nécessaire à nos notes pour vivre. "Last Train To Tucson", pour moi, ce n'est pas une réussite. C'est Serge qui m'a tellement saoulé qu'il m'a convaincu de l'enregistrer. En fait, je voyais un morceau de country avec une voix à la Stiff Little Fingers, mais je n'ai pas réussi à chanter avec cette voix cassée. Durant l'enregistrement, il y a eu quelques petites moments de tension. Il m'est arrivé de me barrer du studio pour aller faire un tour. Je piquais parfois des colères. On dit que j'ai mauvais caractère, mais ça ne doit être que des "on dit" (sourire).

Serge - A ce moment-là, on commençait à avoir une meilleure idée du son qu'on voulait, même si on n'a pas réussi à l'obtenir. Et puis, on commence à mettre plus de mélodies, à trouver notre style. Quand on est rentré en studio, on avait quelques morceaux qui n'étaient pas tout à fait finis. Et on a trouvé les idées durant l'enregistrement. J'ai bien aimer le fait qu'on finisse la création et qu'on mette en boîte tout de suite. "Last Train To Tucson", ça me semblait un morceau prometteur. Je pensais qu'en le travaillant davantage, on pouvait en faire un très bon morceau. Alors, j'ai convaincu Jean-Claude de l'enregistrer pour qu'on en garde une trace. J'étais commercial à l'époque et je n'étais pas mauvais pour convaincre les gens. Et puis, j'aimais bien l'idée qu'un groupe de sauvages enregistre un titre à la guitare sèche.

26/09/1987 : Jean-Claude (basse), Serge (batterie), Norbert (chant), François (guitare).

Comment se sont passés vos concerts en Allemagne ?

Norbert - C'était vraiment bien. On sentait que le public connaissait le hardcore. Ça faisait déjà un moment qu'on écoutait du hardcore américain et qu'on avait adopté un look plus détendu, plus du tout punk : bermudas, chemises, casquettes, baskets. La grande découverte ça a été Skeezicks. La surprise venait de la communion entre le groupe et son public : il y avait un engouement très fort. En plus, le groupe était très sympa. Je me souviens d'un concert à Lorsch. C'était dans une grange, en pleine campagne, au milieu de nulle part. C'était vraiment très étonnant. Le même concert dans les mêmes conditions en France, il y aurait eu trois pelés et deux tondus. Là-bas, c'était au milieu de nulle part, et finalement il y avait au moins 500 personnes. A Ludwigshfen, c'était une grande salle avec une belle scène.

François - Toujours très bien. C'est là qu'on a découvert le slam et après ça, on l'a importé en France. Au fil du temps, on a aussi abandonné le look punk pour s'orienter vers un look plus américanisé, comme en Allemagne. A Ludwigshafen, on a joué devant mille personnes. Il y avait carrément des types qui voulaient que je leur donne mon médiator (le triangle de plastique pour gratter les cordes d'une guitare - NDLA) en souvenir.

Jean-Claude - Le public vraiment branché hardcore nous a apporté un vent de fraîcheur. Les fans de Skeezicks avaient leur style de danse. Et puis, le slam, c'était carrément impressionnant et drôle. J'aimais bien leur manière de s'habiller aussi. Au premier concert où on a découvert Skeezicks, leur public a envahi la scène quand on a joué et ils dansaient autour de nous. C'était un peu gênant pour jouer convenablement, mais ça faisait tellement plaisir.

Serge - On a eu l'occasion de jouer avec un de mes groupes préférés, Razzia. Et puis, on a découvert un jeune groupe, Skeezicks, qui avait un public qui était vraiment en communion avec le groupe.

06/1986 : Nanor (Kromozom 4), Norbert (chant), Jean-Claude (basse).

12/1986 enregistrement de l'album - François.

Le dernier 45 tours laisse entrevoir un nouveau tournant musical, non ?

Norbert - Jean-Claude et François étaient en train de changer d'écriture musicale. C'est moins brut, plus travaillé. C'était un tournant pour tout, puisque les textes étaient très différents aussi. J'ai fouillé d'autres thématiques, plus originales, et j'ai essayé de les traiter différemment, de sortir un peu des sentiers battus. Je le réécoute ce disque et je le trouve réussi. Au niveau du mixage, on entend bien tout et le son est meilleur que sur l'album avec Kromozom 4.

François - On l'a enregistré pour faire patienter les fans avant un album. C'est plus mélodique, avec des rythmes un peu moins rapides. Quand les Anglais de Napalm Death sont arrivés avec le style grind core, je me suis dit que ça n'avait plus aucun sens de continuer une course stérile à la rapidité et au bruit, et qu'on serait plus créatif en trouvant de nouvelles idées, plus subtiles. On a découvert Red Hot Chili Peppers, Victims Family, et sans être influencés directement, on avait envie de se diversifier. Pour la première fois, tous les titres sont en anglais, alors que sur l'album avec Kromozom 4, nos morceaux sont chantés dans plein de langues différentes. On a eu de très bonnes critiques dans les fanzines de l'époque. Je me souviens que le bassiste du groupe américain Verbal Abuse (ancien de Condemned To Death et Code Of Honor - NDLA) l'a écouté chez moi et qu'il aimait tellement qu'il sautait sur mon lit. Bizarrement, aujourd'hui, pour beaucoup de gens, le disque de référence, c'est notre premier 45 tours, beaucoup plus simple. Moi, ma période préféré, c'est les titres de l'album commun avec Kromozom 4.

Jean-Claude - Je voulais un son plus lourd et finalement on a fait un disque plus mélodique et léger, mais ça reste mon préféré, en particulier le titre " Sublimacontrol ", qui est vraiment la direction que je voulais prendre. C'est notre enregistrement le plus abouti. François commence à avoir un son de guitare plus ample. Je pense qu'auparavant, le son de basse écrasait la guitare. Mais si on avait évolué vers quelque chose de plus raffiné, est-ce qu'on aurait pas perdu notre public ?

Serge - Je le trouve vraiment bien notre dernier enregistrement. Pour ma part, on aurait acquis un son un peu meilleur et un peu plus de technique, j'aurais été comblé. Mais là, c'était déjà un accomplissement. Je me souviens que des gars qui répétaient à côté sont venus faire les chœurs sur un des quatre morceaux du 45 tours, et parmi eux il y avait Manu Chao. A l'époque, je n'avais jamais entendu parler de La Mano Negra.

26/09/1987 : Norbert (chant), Jean-Claude (basse), Serge (batterie), François (guitare).

02/1988 : François (guitare).

Au moment de l'enregistrement du dernier 45 tours, il semble que le public du groupe s'étoffe ?

François - A notre dernier concert, qui s'est déroulé dans la cave voûtée d'un club à Paris, tout le monde n'a pas pu rentrer. A l'intérieur, il y avait tellement de monde que j'ai du monter sur mon ampli parce que la scène avait été envahie. Et je devais me contorsionner parce que je touchais le plafond.

Serge - J'ai des très bons souvenirs de nos deux derniers concerts, parce qu'on sentait que le public était acquis à notre cause.

 

Comment s'est séparé le groupe ?

Norbert - Je pense que Jean-Claude n'allait pas très bien à cette époque-là et qu'il a quitté le groupe un peu sur un coup de sang. Il gardait tout pour lui, ne se confiait pas. Je pense qu'on était tous devenus très proches et qu'on aurait su l'écouter. Mais Jean-Claude voulait montrer qu'il était solide comme un roc. C'est bizarre parce que ma mémoire a évacué tout ça. Je crois qu'on était de toute façon à un tournant. Il était temps de se projeter un peu plus. Avec un album en préparation, la question d'une tournée se serait sans doute posée. Et je pense que Serge n'était pas du tout prêt pour ça.

François - A une répétition, Jean-Claude a ramené une nouvelle composition dans laquelle il y avait une partie ska, un genre qui n'est pas du tout naturel à jouer pour moi. Il a trouvé que je n'y arrivais pas assez rapidement, il a dit " moi je veux qu'on se branche et que ça tourne... le groupe c'est fini ! ". Il a rangé sa basse et il est parti. On a décidé d'attendre un mois qu'il nous donne signe de vie et il ne l'a pas fait. Fidèle à notre promesse de ne pas remplacer un membre du groupe, on a formé Tears Of A Doll avec Denis (qui avait fait partie des Vampires et de Kromozom 4 - NDLA) et un nouveau bassiste. Avec le recul, je pense qu'on aurait du rappeler Jean-Claude.

Jean-Claude - J'écoutais de plus en plus de musique noire, de fusion, des groupes comme Red Hot Chili Peppers. J'aurais bien voulu aussi intégrer des éléments de funk, de ska, de reggae, changer mon jeu de basse en jouant parfois en slapping (jouer de la basse comme d'un instrument percussif en frappant les cordes - NDLA). Mais à vouloir intégrer trop de choses, on aurait sans doute perdu l'unité musicale du groupe. Bad Brains a réussi à intégrer des influences de hardcore, heavy rock, reggae, funk... Mais il est évident que François n'aurait pas suivi parce que ce n'était pas son truc. J'ai été dur avec François. Moi, je prenais des cours de basse, je commençais à jouer d'autres styles, et je ne pouvais pas exiger de François qu'il arrive à maîtriser ces styles-là du jour au lendemain. Et puis, ça faisait cinq ans qu'on existait. Certes, on commençait à être appréciés, mais il y a eu une certaine lassitude. Je me souviens de gamins dans les concerts qui venaient de découvrir le hardcore et qui nous avaient appelé les papis du hardcore. Moi, j'approchais déjà de la trentaine, et je me suis dit qu'il était peut-être temps de faire autre chose, qu'on avait fait notre temps. Je crois qu'à l'époque, j'étais en colère, j'avais envie de stopper le groupe. Mais il n'y a pas un jour qui passe sans que je regrette cette décision. Si on avait continué, j'aurais bien voulu qu'on s'oriente vers le crust et ce qu'on appelle maintenant le D-beat (le son de Discharge agrémenté d'influences metal plus lourdes, comme Amebix, Extreme Noise Terror, Wolfpack - NDLA). Mais Serge n'y aurait pas trouvé son compte. C'était un anti-metal primaire.

Serge - La fin du groupe, c'est dommage, parce que musicalement, on n'avait pas tout dit. On pouvait encore largement progresser. Je suis convaincu que si on avait continué, on aurait privilégié de plus en plus la mélodie.

Norbert (chant).

Avez-vous le sentiment d'avoir existé trop tôt et de ne pas avoir été dans le bon pays ?

Norbert - Non. On a fait ce qu'on avait à faire là où on était. Et puis, malgré tout, on reste la référence en matière de hardcore français. On faisait notre truc, on y prenait du plaisir, et c'était l'essentiel. Evidemment, on est fier d'avoir été reconnu par des personnalités de la scène hardcore américaine, mais c'était une fierté humble parce que je me suis toujours demandé comment ils avaient pu flasher sur nous.

François - Non, pour moi, c'est bien d'avoir été des précurseurs. Si tu te dis que tu as fait un groupe trop tôt, c'est parce que tu avais l'espoir d'avoir un succès commercial. C'est vrai que ça nous aurait peut-être aidé de nous former en Allemagne.

Jean-Claude - C'est évident qu'on est arrivé trop tôt. D'ailleurs, je me demande si le public français serait plus prêt à aimer notre musique aujourd'hui. Ne pas être dans le bon pays, c'est de toute façon quelque chose que je me dis déjà dans ma vie quotidienne. Le fait de ne pas avoir un vrai public était parfois un peu désespérant. Mais très tôt, aux Etats-Unis, des gens comme Jello Biafra des Dead Kennedys et Pushead de Septic Death adoraient ce qu'on faisait. C'est impressionnant ! En même temps, j'étais surpris. Je crois que ça nous a poussé à continuer, parce que parfois, le manque d'intérêt des Français aurait pu me pousser à arrêter plus tôt.

Serge - J'aimais jouer, enregistrer. L'éventuelle carrière du groupe ne m'intéressait pas. Même les concerts étaient une horreur pour moi, tellement j'avais peur. On n'a pas été un groupe très populaire, mais les gens qui nous aimaient ne faisaient pas dans la demi-mesure, ils nous adoraient. Du coup, au moins, on savait que c'était sincère. Le fait que des gens connus, comme Jello Biafra, soient fans de notre musique, ça me faisait plaisir, mais j'avais toujours du mal à comprendre pourquoi.

06/1986 : Serge (batterie).

Qu'est-ce que vous conservez de tout ça ?

Norbert - Je conserve de bons souvenirs et des émotions fortes. Et puis, il y avait un lien fort entre nous quatre.

François - Des bons souvenirs. Et puis, quand tu es un adolescent timide, c'est un bon moyen de rencontrer du monde, de t'ouvrir aux autres.

Jean-Claude - Je ne conserve que les bons souvenirs. Ça a aussi été cinq ans de galère parce qu'on n'a jamais eu de très bonnes conditions pour jouer et enregistrer, mais ce sont vraiment les bons souvenirs qui restent.

Serge - On a laissé une trace. Importante ou pas, ce n'est pas à moi d'en juger, mais on était là. Et puis, ça reste des souvenirs et des émotions incroyables.

 

Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Norbert - Le concert avec D.O.A. à Dijon. Pourtant, ça démarrait mal, parce que j'avais picolé trop de vin à table. J'avais attrapé froid et j'ai bu une bouteille de sirop contre la toux, qui contient aussi de l'alcool. Donc j'étais défoncé. Mais ça s'est bien passé quand même. Notre dernier concert dans la cave voûtée demeure aussi un bon souvenir. Et puis, on s'est fait de bonnes tranches de rigolade avec Kromozom 4.

François - Les concerts, en général !

Jean-Claude - Mon meilleur souvenir, c'est le concert de Dijon, où on a été incroyablement accueillis. Je n'avais jamais vu ça et je n'ai jamais revu ça. A Ludwigshafen, ça faisait vraiment plaisir de jouer devant un grand nombre de gens. Concrètement, je m'en fous un peu, parce quand je retirais mes lunettes pour monter sur scène, je ne voyais plus rien. Mais c'est quand même impressionnant.

Serge - Toutes les répétitions constituent de bons souvenirs... le fait d'arriver, de revoir mes copains, de créer en me défoulant.

 

Et les moins bons souvenirs ?

Norbert - Aujourd'hui, quand je me souviens du concert de Tournai, en Belgique, ça me fait rire. Mais c'était vraiment une expérience horrible. Les skinheads terrorisaient les punks, c'était vraiment tendu. Des skins voulaient emprunter un peu de force du matériel à Serge. On a fait une apparition express. On est arrivé, on s'est installé, on a joué et on est parti tout de suite après, sans attendre d'être payé. Même la ville était craignos. Il pleuvait et ça avait l'air déprimant. Ceci dit, quand on a joué au Havre, en pleine zone industrielle désertique, c'était encore plus déprimant. Dans l'après-midi, on était allé dans une petite épicerie : on se serait cru dans les années 50. C'était d'un triste !

François - J'ai vécu une journée noire durant laquelle on m'a amené notre album commun avec Kromozom 4 à la fin d'une répétition. Et en sortant dans la rue, il m'échappe des mains et je le casse. Pour moi, la fin du groupe a un goût d'inachevé. On avait de bons morceaux en préparation et j'aurais bien aimé qu'on fasse un nouvel album. Le même jour, Norbert me ramène mon ampli que le guitariste de Broken Bones (l'ancien de Discharge - NDLA) avait fait exploser en jouant dessus et que je devais faire réparer. Et on l'oublie sur le trottoir après l'avoir sorti du coffre de la voiture. Enfin, rentré chez moi, je découvre que ma mère, ne supportant pas les vêtements déchirés, avait mis en lambeaux mon t-shirt de Minor Threat avant de le mettre à la poubelle, parce qu'il était un peu déchiré sur une manche. Sinon, la fin du groupe a un goût d'inachevé. On avait de très bons nouveaux morceaux et je suis sûr qu'on aurait enregistré un bon album.

Jean-Claude - Le concert de Tournai, c'était vraiment effroyable. Il a fallu courir vite. Je me souviens avoir été obligé de porter une grande partie de la batterie de Serge quand on est parti. Il y a aussi le concert de Phalsbourg, en Alsace. A cette époque, on avait adopté un look hardcore à l'américaine, avec les cheveux très courts. On s'est retrouvé devant un public de punks complètement bourrés qui pensaient qu'on était des skinheads. Très mauvais public, très mauvaise ambiance... Sinon, j'imagine que pour Serge, les concerts ce n'était pas évident. On lui demandait un rythme très soutenu. Il faisait autant de bruit qu'un groupe de black metal, mais sans double grosse caisse ni les moyens techniques d'aujourd'hui. En plus, sur scène, j'accélérais encore davantage le tempo. Lui, derrière sa batterie, il devait pleurer. Les groupes de maintenant sont bien meilleurs techniquement. Je vois bien que les batteurs jouent très sèchement avec le poignet alors que Serge tapait de tout ses bras.

Serge - Moi j'étais terrorisé à l'idée de jouer sur une scène, avec des gens qui me regardent. J'étais obligé de boire quelques coups pour supporter ça. Les deux ou trois heures qui précédaient notre montée sur scène, c'était vraiment l'angoisse pour moi. Et puis, on jouait tellement vite que j'avais des tendinites à répétition sur les poignets. Ce n'était vraiment pas facile pour moi.

 

Qu'avez-vous fait après ?

Norbert - J'ai fait Tears Of A Doll avec François et Serge qui nous a accompagné au début. J'ai beaucoup aimé ce groupe qui avait une approche différente et de très beaux morceaux. Ensuite, j'ai fait parti de Trigger, un groupe de rap avec des samples de punk, metal et hardcore. Là, par contre, on est arrivé beaucoup trop tôt.

François - J'ai continué avec Tears Of A Doll, dans une veine plus mélodique, et avec des influences plus complexes, comme Victims Family et No Means No. Maintenant, je fais un projet solo de musique expérimentale avec guitare et sampling, Naing Naing.

Jean-Claude - J'ai fait une répétition et un concert avec Apologize (groupe formé d'anciens Kromzom 4 et Krull qui vers la fin jouait du funk - NDLA). Mais j'habitais tellement loin de Paris que ça devenait compliqué pour moi. Je suis allé voir Tears Of A Doll en répétition et j'ai trouvé ça vraiment bien. Pendant des années, je n'ai plus fait de musique. Dix ans plus tard, j'ai joué dans un groupe de black metal avec des gens plus jeunes que moi, Bloedbad.

Serge - J'ai fait parti de l'aventure Tears Of A Doll au début, qui pour moi était un peu du Heimat-los édulcoré, avec d'autres idées. J'ai bien aimé. François est devenu un peu le leader du groupe, mais je pense que justement il nous manquait une autre locomotive, comme Jean-Claude.

 

Ça vous fait quoi de savoir que Heimat-los est un groupe culte ?

Norbert - - Ça fait marrer mes mômes. Et moi j'aime bien l'idée de leur montrer que j'ai fait quelque chose, en marquant une toute petite partie de l'histoire du rock français. J'ai toujours été étonné que des gens s'intéressent à nous. Mais ça me fait très plaisir. Je me souviens de la tournée de Tears Of A Doll et Trigger. A ce moment-là, j'avais quitté Tears Of A Doll et j'étais dans Trigger. On avait joué à Dijon avec un groupe de metal. Au moment de manger, un membre du groupe nous dit que son groupe français préféré était Heimat-los. François et moi lui avons dit qu'on en avait fait partie et le gars était carrément en transe devant nous.

Jean-Claude - Pour moi, Heimat-los n'est pas un groupe culte. Nous on est simplement arrivé à un moment où il n'y avait pas de hardcore et on a voulu en faire. Il n'y a pas grand mérite à ça. Et je n'aime pas trop l'idée que les pressages originaux de nos disques se vendent cher. Heimat-los ce n'était vraiment pas une histoire d'argent. D'ailleurs, j'aurais voulu faire du fric, je n'aurais jamais joué ce genre de musique.

Serge - J'ai toujours du mal à comprendre. Mais bon, après tout, si moi j'aimais ces morceaux, d'autres ont pu les aimer comme moi.

 

Interviews réalisées par Philippe Roizès

06/1986 : Jean-Claude (basse), Serge (batterie).