Kromozom 4 fut d'abord un projet parallèle au groupe skunk R.A.S., né durant l'année 1984 de la volonté de Gaz et de Taki, séduits par le groupe canular anglais Chaotic Dischord, de jouer beaucoup plus vite. Mais la concrétisation de ce projet s'est faite sur les cendres de R.A.S. et de L'Infanterie Sauvage, après la séparation des deux groupes. Durant l'été 1984, les répétitions se succèdent, sous influences anglaises de punk rapide et de hardcore. Pour tourner la page de la Oi ! et des embrouilles autour des skinheads, la volonté du nouveau groupe est de ne délivrer aucun message et d'accoucher des textes les plus débiles, souvent le fruit d'anecdotes personnelles. La plupart des premiers textes sont écrits selon la formule du cadavre-exquis prisé par les surréalistes, une écriture à plusieurs mains sans que chacun ne connaissent la contribution des autres. Le groupe découvre vite le réseau international du hardcore et de nouvelles influences européennes viennent le secouer. En septembre 1985, Kromozom 4 fait son premier concert. Malheureusement, le public réellement intéressé par le hardcore en France est à cette époque très limité et la scène totalement embryonnaire. Le groupe se rapproche d'ailleurs très vite de Heimat-los, les pionniers du hardcore en France et l'idée de sortir des disques en commun germe alors. Après quelques remaniements de personnel au sein du groupe durant l'année 1986, un 45 tours commun au deux groupes, dont la face Kromozom 4 est intitulée "Partout où c'est qu'on passe, c'est tout qu'on déroule !", sort en septembre. Il est suivi en avril 1987 de l'album commun, dont la face Kromozom 4 s'appelle "Rien ne sert de gâcher de la bande, il faire cuire son steak à point !" Toujours dans l'esprit du réseau international du hardcore européen, le groupe joue deux fois en Allemagne, devant un public bien plus nombreux qu'en France. Début 1988, le manager du groupe tente un essai en tant que chanteur additionnel, avec l'ambition de ramener plus d'influences américaines et mélodiques. Cette nouvelle formule, pas au goût de tous au sein du groupe, précipite la fin. Kromozom 4, un des pionniers du hardcore français, demeure un Ovni à la fois fun et brutal. La réédition de la discographie du groupe permet de redécouvrir un son unique.

Première formation : les "O'Hara" Joe Larsen & Gaz.

Première formation : les "O'Timins" Nanor & Mardeloges.

Seconde formation : Nydeu, Joe Larsen, Mardeloges & Gaz.

Troisième formation : Nanor, Mardeloges, Gaz & Nydeu.

Comment est né le groupe ?

Gaz / Lionel - Peu avant la fin de R.A.S., il y avait déjà Taki et moi qui avions envie de faire autre chose. Moi j'avais lâché le look skinhead et on écoutait de plus en plus de groupes punk au tempo rapide. Après la séparation du groupe, Taki en a eu clairement ras-le-bol des embrouilles avec les skins nationalistes. Il voulait continuer la musique mais ne plus baigner dans la politique. On a donc fait un groupe sans aucun message et basé sur l'énergie de la musique. On a récupéré Arnaud de L'Infanterie Sauvage puisque le groupe s'est arrêté peu après R.A.S.. Il n'écoutait pas de hardcore mais l'expérience le tentait. Serge, le batteur de Heimat-Los, nous a parlé de Gilles, un batteur qui pourrait faire l'affaire. En plus, il jouait dans un groupe de bal qui faisait de reprises, ce qui nous amusait beaucoup.

Joe Larsen / Taki - Les Gros Fombs, le duo skinhead comique de Gaz et de Rémi (choriste puis second chanteur de R.A.S. - NDLA), c'est presque la genèse de Kromozom 4. Avec Gaz, on avait envie de faire un groupe de hardcore. On a commencé à avoir un répertoire et on a aussi adapté à la sauce hardcore deux morceaux des Gros Fombs. Après la fin de R.A.S., les embrouilles qu'avait récolté le groupe du fait de ses prises de position m'a fait tourner la page Oi ! J'avais besoin d'air. Arnaud n'écoutait pas vraiment de hardcore, mais il aimait délirer. Alors, après la fin de L'Infanterie Sauvage, il est devenu un membre à part entière et Kromozom 4 est devenu notre nouveau projet, notamment du fait de la motivation de Gaz, qui avait enfin son propre groupe. Au sein de R.A.S., il n'avait pas sa part de création, alors que là, il a pu l'exprimer. Gilles, on ne le connaissait pas avant le groupe, il habitait loin de Gaz et moi, et en plus il est parti au service militaire dès le début du groupe. Du coup, on s'est bien entendu et amusé avec lui, mais il faisait moins partie de la famille. Il était un peu moins délirant que nous.

Nanor / Arnaud - R.A.S. et L'Infanterie Sauvage se sont séparés à peu de temps d'intervalle, entre le printemps et l'été 1984, pour des raisons politiques. Les deux groupes se retrouvaient confrontés à un public dans lequel ils ne se reconnaissaient pas. Gaz et Taki écoutaient de plus en plus de groupes anglais comme Discharge et G.B.H., qui jouaient rapidement. Et ils ont commencé à répéter tous les deux dans le sous-sol de la maison où habitait Taki. De mon côté, j'étais très frustré de ne plus avoir de groupe. Et comme je passais beaucoup de temps chez Taki, parce que sa sœur était ma copine de l'époque, j'ai accepté de rentrer dans le groupe. Serge, le batteur de Heimat-los nous a présenté un pote à lui, Gilles, qui est devenu notre batteur, et on a commencé à répéter à quatre. Le hardcore n'était pas du tout le genre de musique que j'écoutais, mais petit à petit, jouer dans le groupe m'a vraiment éclaté. Au début, pour moi, c'était avant tout une histoire d'amitié.

Mardeloges / Gilles - J'ai débuté à 16 ans dans un groupe de reprises qui animait des soirées dansantes. Au début de l'été, j'ai quitté le groupe parce que j'allais faire mon service militaire. J'avais fait mes adieux au music hall, en quelque sorte (rires). J'écoutais une radio qui s'appelait R.T.H. et j'ai découvert le punk. Et mon frère avait un ami commun avec Serge, le batteur de Heimat-los. On s'est croisés à des concerts de R.A.S. et de L'Infanterie Sauvage, et il m'a branché sur Kromozom 4 avec qui il avait fait quelques répètes. Il m'avait passé une cassette avec leurs morceaux, et j'ai adoré. J'ai fait un essai durant l'été. Il faisait une chaleur étouffante dans le studio de répétition. Je suis passé de reprises de slows et de rock à des tempos très rapides, et c'est avec eux que j'ai découvert le hardcore. Au début, c'était physiquement très difficile et je ne pense pas que j'avais bien assuré. Mais ils m'ont pris et j'étais très fier de jouer avec Arnaud et Taki parce qu'ils avaient fait des groupes à mes yeux prestigieux. J'ai donc rejoint le groupe au moment où je partais faire mon service militaire.

Gaz, Mardeloges, Joe Larsen & Nanor.

La scène hardcore européenne de l'époque était encore plus politisée que la scène punk. A priori, un groupe au concept " fun ", ça faisait tâche, non ?

Gaz / Lionel - Justement, c'était intéressant d'amener un esprit différent. Et puis, en France, il n'y avait même pas de scène hardcore ! On avait été très marqués par le groupe anglais Chaotic Dischord. Au départ, c'est un faux groupe monté par deux membres de Vice Squad et leur roadie au chant, pour parodier les groupes ultra-rapides et bruyants du label Riot City Records, comme Chaos UK et Disorder. Ils jouaient avec tous les clichés du genre en les poussant à fond. Ils ont envoyé une demo à Riot City Records qui a signé le faux groupe. Leurs albums nous éclataient beaucoup.

Joe Larsen / Taki - Vers la fin de R.A.S., j'écoutais des groupes de plus en plus speed, comme GBH, Varukers. J'avais envie de plus de bruit et de plus de vitesse. Chaotic Dischord m'avait beaucoup fait rire et je trouvais génial leur concept de groupe fantôme. Et j'aimais bien les groupes qu'ils parodiaient, comme Disorder : tu mettais le vinyle sur ta platine et tu avais l'impression d'avoir une grosse poussière sur ta tête de lecture. Et on aimait beaucoup plus le son anglais et européen que le hardcore américain. Parfois, certains de mes correspondants étrangers avaient du mal à comprendre qu'on fasse du hardcore fun. Il fallait parfois que je me justifie.

Nanor / Arnaud - Vu l'expérience un peu traumatisante de laquelle je sortais avec L'Infanterie Sauvage, ça m'a fait beaucoup de bien de jouer dans un groupe qui n'avait aucun message et ne véhiculait pas une image qui risque d'attirer un public de merde. Je sais que Gaz et Taki ressentaient le même besoin de changer d'air. Je trouvais bien l'idée de faire une musique très agressive sur des textes débiles.

Mardeloges / Gilles - Je me foutais complètement des textes. Je n'ai jamais été très impliqué politiquement, alors le concept fun m'allait très bien.

 

D'où vient le nom du groupe ?

Gaz / Lionel - A l'époque, on passait des nuits entières à regarder des films d'horreur. On avait bien aimé "Chromosome 3", de David Cronenberg. Alors on a modifié l'orthographe et on a mis le chiffre 4 parce qu'on était quatre dans le groupe. Taki nous a dit que s'il manquait le quatrième chromosome à l'être humain, il était un peu débile. Personne n'a jamais vérifié l'information, mais ça nous a bien plu. Et puis, on a pris des noms. Enfin, moi j'ai gardé Gaz qui était mon surnom depuis longtemps. Taki est devenu Joe Larsen parce que sa guitare faisait des larsens incontrôlés. Arnaud, je l'appelais déjà Nanor avant. Et au début du groupe, Gilles est parti faire son service militaire et a hérité du grade de maréchal des logis (ce qui correspond à sergent - NDLA). Du coup, on l'a appelé Mardeloges.

 

Le groupe était très prolifique à ses débuts. Très vite, une première cassette a été enregistrée en répétition et envoyée un peu partout.

Gaz / Lionel - Taki était motivé et il a composé plein de morceaux d'un coup. Parfois, je lui demandais des morceaux dans tel ou tel esprit. Quand on a connu les membres de Heimat-los, leur guitariste François nous a fait découvrir une incroyable réseau de contacts de fanzines, compilations en cassette, labels, groupes dans le monde entier. C'était vraiment très excitant d'échanger avec d'autres passionnés. Il fallait vraiment avoir du temps et être patient parce que le mp3 et les mails n'existaient pas. Il fallait copier des cassettes, faire des photocopies et envoyer le tout par courrier.

Joe Larsen / Taki - D'habitude, la musique ça se résume à la France, l'Angleterre et les Etats-Unis. Et là, on découvre des groupes danois, suédois, norvégiens, etc... Et les groupes de ces pays-là voulaient également découvrir ce qui se passait en France. Ce côté international me plaisait beaucoup.

Nanor / Arnaud - Je pense que Taki avait plein d'idées qu'il entassait depuis un bon moment. Du coup, dès la première répétition, il y avait des tas d'ébauches de morceaux sur lesquels on pouvait commencer à travailler. Mais franchement, si on veut rester dans le même style, sans de nouvelles influences, je trouve qu'on tourne vite en rond.

Joe Larsen, Gaz, Mardeloges & Nanor.

Kromozom 4, c'était beaucoup de délires que peu de gens extérieurs au groupe pouvaient comprendre, non ?

Gaz / Lionel - On ne voulait délivrer aucun message. Plus c'était con, mieux c'était. Il nous fallait pas grand chose pour faire un texte. Quelque chose ou quelqu'un nous faisait rire et on décidait de lui consacrer un texte. Ça c'était vraiment l'état d'esprit des premiers textes du groupe. Soit on écrivait sur le mode du cadavre exquis... un thème et chacun une phrase en ne laissant apparaître que quelques mots pour le suivant. Soit j'écrivais des textes seuls. Et je préférais ça d'ailleurs pour mieux développer mes délires. Je pense qu'on aurait pu faire passer du rien et du grand n'importe quoi sous une meilleure forme. Pour moi, " Ich bin " est le texte emblématique de notre état d'esprit. Je l'ai écrit en français et Norbert, le chanteur de Heimat-los l'a traduit en allemand et ça n'a ni queue ni tête. On a repris aussi des morceaux du délire skin rigolo que j'avais fait du temps de R.A.S. avec Rémi, sous le nom des Gros Fombs. " Nanterre " était une histoire qui nous était arrivé en allant voir Jean-Louis, le batteur de R.A.S. à l'université. " Locataire pomme de terre " est devenu " Dédé le roi du valse-core ", qui mettait une bonne ambiance dans les concerts. Et puis, il est arrivé que Taki me demande un texte sur tel thème. C'est ce que j'ai fait pour " BZH ", qui est une sorte de chanson d'amour, mais je trouvais que ça n'avait pas sa place dans le groupe. Il y a eu aussi " Retour en force ", qui était un texte revanchard par rapport à tous ceux qui s'étaient réjouis de la mort de R.A.S. et de L'Infanterie Sauvage. Moi, je n'avais pas envie de revenir sur le passé et de relancer une polémique. Du coup, on ne l'a jamais joué en concert et j'ai changé le texte plus tard. On s'était fabriqué un univers bien à nous. Dans un album de la bande dessinée " Lucky Luke ", il y avait deux familles qui faisaient la guerre, les O'Hara aux grandes oreilles et les O'Timmins au grands nez. On a adopté ce délire à notre sauce puisque Taki et moi avions les oreilles décollées, tandis que Arnaud et Gilles avaient des bouts de nez mous. En plus, Taki n'a presque pas de cartilage dans les oreilles ! Mais finalement, à part dans les premiers montages du groupe, on n'a finalement pas trop exploité cette idée.

Joe Larsen / Taki - J'adorais l'idée d'écrire les textes en cadavres exquis... on écrivait les textes à deux, trois, voire cinq personnes et ça donnait des textes délirants, avec parfois des références importantes pour la personne qui l'écrivait. Pour les auditeurs, on devait vraiment passer pour des mongoliens ! Peu à peu, c'est Gaz qui a repris l'écriture à son compte, et moi je me concentrai plutôt sur la musique. C'est dommage qu'on n'a pas écrit de texte autour du délire des O'Hara et des O'Timmins.

Nanor / Arnaud - J'adorais le mode d'écriture en cadavre-exquis. C'était original, drôle à faire, encore plus à lire, et ça n'appartenait qu'à nous. " Retour en force ", c'est le seul texte que j'ai écrit seul. Comme l'aventure R.A.S. et L'Infanterie Sauvage s'étaient mal finies humainement, c'était un moyen de dire à ceux qui nous snobaient qu'ils nous avaient un peu trop vite enterrés. Bon, fallait le prendre un peu au second degré, ce n'était pas bien méchant. Finalement, ça a été plus un retour en petite forme qu'en force.

Mardeloges / Gilles - Je n'ai participé à aucun texte ou presque. J'habitais loin des autres, du coup j'étais moins dans les délires du groupe. Je crois que j'ai vraiment découvert les paroles lorsque le groupe est rentré en studio. Enfin, j'avais compris depuis longtemps que je n'étais pas dans un groupe intellectuel.

1984 : Joe Larsen, Nanor, Norbert (Heimat-los), Félus (ex-L'Infanterie Sauvage) & Fifi.

Le premier manager du groupe, c'était Faïza ?

Gaz / Lionel - Oui, elle venait à La Truyère, le bar où on se réunissait avec R.A.S., vers la fin du groupe, et se faisait appeler Fifi. C'était une sorte d'électron libre survolté et toujours très enthousiaste. D'ailleurs, on aurait du lui consacrer un morceau, " Fifi la fofolle ", mais ça ne s'est pas fait. En tout cas, Fifi, Taki et moi, on envoyait des tonnes de cassettes un peu partout. Ensuite, Philippe, qui suivait R.A.S. depuis la sortie du 45 tours, a pris le rôle de manager avec le surnom de Nounours.

1984 : François (Heimat-los), Serge (Heimat-los), Nanor & Joe Larsen.

Comment avez-vous fait connaissance avec Heimat-los ?

Gaz / Lionel - On répétait dans les mêmes locaux à Courbevoie. On a fait la connaissance avec l'autre seul groupe de hardcore en région parisienne, par le biais de Fifi, qui les connaissaient. Et humainement, on a accroché tout de suite. Je voyais beaucoup Norbert, leur chanteur. Un peu comme ça s'était passé entre R.A.S. et L'Infanterie Sauvage auparavant. Et puis, il y avait une petite compétition sympathique entre nous. On trouvait qu'ils jouaient plus vite et plus fort que nous, alors on essayait de mettre la barre au-dessus. Ensuite, il y a eu quelques rares autres groupes de hardcore qui ont émergé, comme Final Blast, à Pontarlier.

Joe Larsen / Taki - Norbert, le chanteur de Heimat-los était déjà fan de R.A.S.. Il aimait en particulier " Chasse à l'homme ", qui était dans le registre des morceaux rapides du groupe. Je crois qu'inconsciemment on avait besoin d'être proche d'un autre groupe pour avoir l'impression d'être moins seuls dans notre passion musicale. Avant eux, du temps de R.A.S., j'avais joué à Dunkerque avec SS Kids, que j'avais beaucoup aimé.

Nanor / Arnaud - On est allé les voir en répétition et on a tout de suite accroché. Ils étaient vraiment sympa. Et puis, ils étaient bien meilleurs que nous. Ils avaient un son, des compositions originales, de la puissance et ils étaient carrés et meilleurs musiciens. Quand tu joues vite, contrairement à ce que certains pourraient croire, tu ne peux pas te permettre de ne pas être carré parce que ça s'entend très vite. Et nous, de ce côté-là, on était un peu bancal.

Mardeloges / Gilles - J'aimais beaucoup ce que faisait Heimat-los. Ils étaient techniquement meilleurs que Kromozom 4, mais les choses ne se posaient pas comme ça entre nous. J'étais impressionné par le jeu de batterie de Serge. Et il n'y a jamais eu de concurrence entre nous. Il y avait une saine émulation. Finalement, c'était même profitable à notre groupe qu'ils existent et qu'on les fréquente, d'avoir une sorte de locomotive. On faisait un peu la course à la vitesse. Je me souviens aussi de Final Blast et de Fli Tox, mais il n'y avait vraiment pas beaucoup de groupes.

 

La veille du premier enregistrement en studio, Gilles appelle d'Allemagne, où il faisait son service militaire, pour dire qu'il est tombé malade, qu'il ne rentrera finalement pas de permission et que donc il ne pourra pas rentrer en France.

Gaz / Lionel - C'était vraiment un coup dur ! On se retrouvait sans batteur à la veille de l'enregistrement qui devait avoir lieu au studio de Bob Mathieu, là où R.A.S., L'Infanterie Sauvage, Les Cafards et Heimat-Los avaient enregistré précédemment. Arnaud a tenté de joindre Félus, l'ancien batteur de L'Infanterie Sauvage, qui a finalement rappelé très tard et a accepté de remplacer Gilles. Il a appris les morceaux et a vraiment assuré pour l'enregistrement. On a enregistré et mixé neuf titres en deux jours. Sur le break du "Râleur", sur lequel je parle, j'ai donc fait un clin d'œil à la situation qui aurait pu être catastrophique : "Y a l'autre qu'a chopé la crève, il a même pas pu rentrer de là-bas / Je m'demande même si la bande elle va pas casser avant la fin". Je n'ai pas pu assister au mixage. Du coup, sur "Ich bin", il y a une réverbe sur la voix que je n'aime pas du tout. Mais j'étais très satisfait du résultat. Chacun avait appris de ses expériences de studio passées. Et puis, Arnaud avait un son de basse très particulier.

Joe Larsen / Taki - François, le guitariste de Heimat-Los, m'avait prêté sa guitare. Du coup, avec la mienne, je pouvais avoir deux sons différents selon les morceaux ou lorsque je doublais une prise de guitare. J'ai eu enfin le son que je voulais, contrairement aux enregistrements de R.A.S.. Le son saturé ce n'était pas la culture de Bob Mathieu. Mais j'ai tellement insisté qu'il m'a laissé faire comme je voulais. Et puis, Arnaud avait un jeu et un son de basse très particulier.

Nanor / Arnaud - On était en train de manger dans un restaurant quand on a appris que Gilles ne pourrait pas rentrer pour l'enregistrement qui avait lieu le lendemain matin. Ça a bien refroidi l'ambiance. A l'époque, il n'y avait pas de téléphones portables. On a laissé des messages chez Félus, l'ancien batteur de L'Infanterie Sauvage, et chez Serge, le batteur de Heimat-Los. Personne ne nous rappelle ! On n'osait pas annuler la veille. Alors le lendemain, on est allé chez Félus. Sa mère lui avait passé le message ; il était prêt. On l'a emmené au studio, où on a trouvé Serge qui lui aussi avait répondu présent. Finalement, c'est Félus qui a enregistré la batterie. On a passé la matinée à répéter les morceaux avec lui pour lui montrer les structures. Comme on avait longtemps joué ensemble, lui et moi, on avait une certaine habitude. Je lui faisais des signes pour les changements de rythmes et les breaks. On peut dire qu'on s'en est bien tiré. Au mixage, Taki voulait vraiment mettre la guitare en avant. Bob Mathieu n'était pas habitué à un son si offensif, alors il ne montait jamais la guitare autant que Taki l'aurait voulu. Finalement, il a laissé Taki régler le niveau comme il l'entendait, tout en nous prévenant : "ne revenez pas demain en me disant que c'est trop fort". Finalement, Taki avait raison.

Mardeloges / Gilles - Avec l'armée, on avait fait une sortie nocturne et j'ai chopé une angine vers la fin de la semaine. Et moi, dès que j'ai un peu de fièvre, je ne suis plus capable de rien. J'étais dans le coltar et j'ai du leur annoncer que je ne pourrais pas rentrer pour l'enregistrement. Evidemment, ça aurait été une bonne expérience pour moi mais finalement, Félus a fait mieux que ce que j'aurais fait. J'ai trouvé l'enregistrement vraiment bien. Bien sûr, j'étais un petit peu jaloux de ne pas avoir joué dessus, mais ce qui comptait c'est que ce soit réussi. Et le clin d'œil de Gaz dans "Le râleur", j'ai beaucoup aimé.

Mardeloges (batterie), Nanor (basse), Gaz (chant), Joe Larsen (guitare).

Quel souvenir conservez-vous du premier concert du groupe ?

Gaz / Lionel - C'était au Séisme, une salle à Champs-sur-marne, en banlieue parisienne. J'avais fait un mauvais choix de costume de scène : j'étais habillé en pyjama et je crois que ça m'avait endormi. Je n'étais à l'aise et j'ai le souvenir d'un son assez sourd. Il y a un mec qui s'est assommé en tombant (il s'agissait de Riton, bassiste de BB Doc - NDLA) et on a cru qu'il y avait eu une embrouille. Ça m'a renvoyé aux problèmes des derniers concerts de R.A.S. et j'avais très peur de ça.

Nanor / Arnaud - J'avais insisté pour qu'on ne fasse pas de concert avant d'être vraiment au point. Du coup, j'ai le souvenir qu'on s'en était bien tiré sur scène.

Mardeloges / Gilles - J'avais vraiment le trac. Je revenais de vacances d'été et j'étais tout bronzé... je me suis dit que ce n'était pas très punk. Lors des concerts de R.A.S. que j'avais vu, il y avait une ambiance très tendue. Du coup, j'avais un peu peur de ça.

Nydeu (basse), Gaz (chant), Joe Larsen (guitare).

Il y a eu une période où le groupe portait un uniforme sur scène.

Gaz / Lionel - Oui, mais ça a mis du temps à se concrétiser, surtout parce qu'une fois qu'on l'avait défini, Taki a mis un temps infini à aller acheter ses accessoires. L'uniforme c'était une casquette rouge ou verte, des baskets de la marque Creeks (des copies de Converse - NDLA), un bandana assorti, un débardeur noir sur lequel j'avais peint un personnage, qu'on a appelé le glubo puis le guébé. J'avais fait un dessin d'un personnage débile que j'avais détourné du logo d'une chaîne de burgers, qui a été ensuite redessiné bien mieux par Tâm, un pote d'Arnaud qu'on connaissait du temps de L'Infanterie Sauvage. Plus tard, notre manager, Philippe, qui était très branché hardcore américain, nous avait suggéré d'adopter le bermuda, à la manière de Suicidal Tendencies, ce qu'on a fait un temps. J'avais récupéré quatre bermudas bleu marine, avec des bandes rouge et jaune sur les côtés et un logo RTL.

 

Le fait qu'il n'y avait pas de vraie scène hardcore en France vous a t-il frustré ?

Gaz / Lionel - Non. On lançait un truc qui était nouveau en France. Nous on était surexcités par ça, et c'est ce qui comptait.

Joe Larsen / Taki - Déjà, ni les autres anciens membres de R.A.S. ni le public du groupe ne nous a suivi. Il fallait vraiment tout reconstruire de A à Z. Kromozom 4 est un groupe qui est arrivé trop tôt. Au début, il n'y avait pas vraiment de public et j'en ai été frustré. Les gens n'aiment pas les groupes qui sortent des sentiers battus. Pour beaucoup, le hardcore ça devait être sérieux. Finalement, on mettait surtout l'ambiance lorsqu'on jouait "Dédé le roi du valse core" parce que c'était une parodie de valse.

Nanor / Arnaud - On était habitué, non ? Aujourd'hui, les gens pensent que L'Infanterie Sauvage jouait devant des centaines de personnes dans une ambiance de folie. Mais en réalité, on a fait pas mal de concerts dans des salles vides, devant quelques copains et d'autres gens qui ne se sentaient pas du tout concernés. Clairement, on a perdu tout le public de nos anciens groupes, sans vraiment en gagner un nouveau.

Mardeloges / Gilles - Contrairement à des groupes comme Bérurier Noir ou Ludwig Von 88, on ne peut pas dire qu'on avait vraiment un public. C'était frustrant mais le plaisir de jouer était toujours là.

 

Dans les délires du groupe, il y a eu le faux groupe chilien, Los Ringos.

Gaz / Lionel - C'est né de l'histoire de Chaotic Dischord et de l'importance des groupes d'Amérique du Sud dans la scène hardcore. On a donc passé une répétition à enregistrer des titres hyper rapides et bruyants en chantant dans un yaourt hispanique, dans une ambiance de faux concert. Le titre phare, c'était " Ricardo ", dédié à un camarade imaginaire, mort dans les prions chiliennes. On devait trouver un correspondant d'Amérique du Sud pour préparer une lettre en espagnol et envoyer la cassette au label New Wave Records qui, à l'époque, sortait beaucoup de groupes politisés des quatre coins du monde, avec des sons bien crades. On espérait renouveler la supercherie de Chaotic Dischord et que New Wave Records sortirait Los Ringos en disque. Et puis, finalement, nous ne sommes jamais allés au bout de ce délire.

Mardeloges / Gilles - Au début, on avait surtout monté ce canular pour François de Heimat-los. Il était très curieux des groupes les plus extrêmes du monde entier. Et on voulait lui faire croire que c'était un groupe chilien dont on avait reçu la cassette par courrier. Ensuite, Gaz voulait étendre le délire.

Nydeu, Joe Larsen, Mardeloges & Gaz.

Joe Larsen (guitare), Mardeloges (batterie), Nydeu (basse), Gaz (chant).

Comment avez-vous vécu le premier départ de Arnaud du groupe et l'arrivée de Denis ?

Gaz / Lionel - Sa copine lui avait mis un peu la pression et il en avait marre des concerts. En même temps, il a continué à venir nous voir sur scène. Pour moi, ça annonçait déjà la fin du groupe. Enfin, Kromozom 4 sans lui, ce n'était plus Kromozom 4. Pourtant, Denis, que Philippe nous a présenté, et qui a pris le nom de scène de Nydeu, était complètement dans notre délire. Dans une interview à l'époque, j'ai dit : " ça a fait ni une ni deux, on a pris Nydeu ". Il s'éclatait complètement dans le groupe, et ça contrastait beaucoup avec le personnage qui était d'un flegme à toute épreuve. Il avait un nez à la O'Timmins, donc je me suis retrouvé le seul O'Hara dans le groupe. Il a apporté une nouvelle motivation au groupe, mais il n'avait pas le même jeu de basse si particulier d'Arnaud.

Joe Larsen / Taki - Pour moi, le départ d'Arnaud a été un coup dur. Denis, qui jouait de la basse dans Les Vampires, l'a remplacé. Je garde un très bon souvenir de lui. C'était vraiment un personnage, presque de bandes dessinées. Margerin aurait très bien pu l'intégrer dans sa série des " Lucien ". C'était un bon musicien, il avait le coeur sur la main, et il est totalement rentré dans notre délire. Il n'a pas eu de problème d'intégration. Denis essayait de me convaincre très gentillement que je pouvais faire des solos, mais j'en étais bien incapable. Et en plus, je n'aimais pas trop ça. Je voyais ça comme un truc de hard rock.

Nanor / Arnaud - Ma copine de l'époque en avait marre que je passe mes week ends à répéter et trouvait que j'avais passé l'âge de ces conneries. En plus, musicalement, elle n'aimait pas ce qu'on faisait. Alors, j'ai quitté le groupe. Mais j'ai assuré toute la transition le temps que Denis sache jouer les morceaux. Je lui faisais des cassettes avec les lignes de basse et puis on répétait ensemble. Il s'en tirait bien. Il a appris vite et il arrivait à jouer vite. Ensuite, le groupe a donc continué sans moi.

Denis / Nydeu - Je jouais dans Les Vampires et j'avais envie de tempos plus rapides et de textes différents. Les textes des Vampires tournaient beaucoup autour de " pipi, caca, zob, quéquette ", et j'avais envie d'autre chose. Il y avait une liberté que j'aimais beaucoup dans les textes de Kromozom 4. Alors je me suis proposé quand Arnaud a quitté le groupe. Je trouvais que Kromozom 4 avait un son, une couleur, une ambiance bien particulière. Je découvrais un style musical qui m'excitait mais que je connaissais mal. Et puis, j'ai adopté leur costume de scène. C'était un peu comme les Ramones, dont les blousons de cuir perfecto et les jeans déchirés constituaient l'uniforme. Kromozom 4, ça m'a vraiment permis de changer de peau. En plus, moi qui viens d'une famille où avant moi, on jouait du jazz gitan et du be bop, ça m'a fait vraiment du bien. J'ai pu m'exprimer à ma manière. Et puis, j'ai beaucoup aimé les membres du groupe. Tout le monde se retrouvait souvent chez Taki le week end... enfin, chez ses parents. Et moi, je me suis fondu là-dedans. Apparemment, les autres membres m'appréciaient bien. Et il n'y avait aucun sentiment de supériorité de la part des membres historiques. Je me souviens qu'après une soirée chez Taki, le lendemain matin, je cherchais mon slip et je l'ai retrouvé dans la gueule du chien des parents.

Mardeloges / Gilles - Pour moi, ce n'était vraiment plus pareil. J'adorais le jeu de basse d'Arnaud et Denis n'avait pas du tout le même, même s'il assurait à la basse. Et puis, humainement, ça m'embêtait qu'Arnaud parte. Pour moi, ce n'était plus tout à fait Kromozom 4.

1986 - Nounours & Joe Larsen (concert de Heimat-los & Flitox).

Vos souvenirs de concerts ?

Gaz / Lionel - On se prenait beaucoup la tête sur la préparation de nos concerts. On répétait sérieusement, on établissait la liste de titres la plus efficace, avec des enchaînements. Arnaud était très impliqué dans ces préparatifs. Mais j'ai fait la plupart des concerts bourré, et j'avais très souvent le trac. J'ai un bon souvenir du concert qu'on a fait avec Les Vampires au Cithéa. Par contre, j'ai très mal vécu celui qu'on a fait dans la même salle avec Ludwig Von 88. Leur public ne s'intéressait pas à autre chose et on les faisait visiblement chier. Les deux concerts en Allemagne, à Lorsch et Ludwigshaffen sont mes meilleurs souvenirs. Là, il y avait vraiment du public et les gens appréciaient ce qu'on faisait. A Ludwigshafen, on a eu de très bonnes conditions. Et il y avait même du papier dans les toilettes. Après ce concert, je me suis dit qu'il fallait vraiment qu'on bosse parce qu'on pouvait être encore meilleurs. Par exemple, il fallait enchaîner les morceaux très courts avec d'autres, parce que sinon, l'énergie du public retombait. Vu l'accueil qu'on a eu en Allemagne, ça ne donnait pas très envie de jouer en France. Sinon, à Beaune, au dernier concert du groupe, j'étais ivre mort.

Joe Larsen / Taki - Le concert avec Ludwig Von 88 m'a marqué dans le mauvais sens. Pendant qu'on jouait, c'était triste. Le public de Ludwig Von 88 n'en avait rien à foutre de nous. C'est le dernier concert que j'ai fait avec le groupe. Les autres membres, au moins, ont connu des salles pleines en Allemagne. Moi, j'avais quitté le groupe et je n'ai jamais connu ça. C'est un de mes regrets.

Nanor / Arnaud - Le problème, c'est que la scène hardcore était inexistante. Alors, à part quand on jouait avec Heimat-los, on partageait souvent l'affiche avec des groupes qui n'avaient rien à voir avec nous. Du coup, un public comme celui des Vampires n'en avait rien à foutre de nous. Et quand on a joué avec Ludwig Von 88, là carrément, on a eu droit à des réactions violentes de la part de leur public.

Denis / Nydeu - Je me souviens du concert de Neuilly-Plaisance, où on avait vraiment bien joué et où l'ambiance était bonne. Les punks n'étaient pas avachi et étaient rentrés dans le délire. J'ai adoré les concerts en Allemagne, parce que, contrairement à la France, le public venait pour s'éclater sur la musique, et non pas se murger la gueule et dormir dans un coin. A Ludwigshafen, Gaz m'avait ramené un tablier et une toque de cuisinier. Il avait le don pour fouiner et trouver des déguisements.

Mardeloges / Gilles - Le concert avec Ludwig Von 88, ça a été une grande déception. J'étais carrément jaloux de voir qu'ils avaient un vrai public et pas nous. Et en Allemagne, il y avait une ambiance plus détendue, punk baba cool, très différente de la France.

Nydeu (guitare), Mardeloges (batterie), Gaz (chant) & Nanor (basse).

Le projet de sortir un 45 tours et un album commun avec Heimat-los a émergé quand ?

Gaz / Lionel - Au début, chacun voulait sortir ses propres disques. Mais rapidement, on s'est rendus compte, du fait que nos morceaux étaient très courts, qu'on n'en avait pas assez pour faire un album seuls. Et puis, on était très potes, donc c'était une bonne idée de faire les choses ensemble. Et puis, les disques split (une face pour chaque groupe - NDLA), ça se faisait beaucoup dans le hardcore européen.

Joe Larsen (guitare), Mardeloges (batterie), Gaz (chant), Nydeu (basse).

Il y a eu une première session photo pour la pochette du 45 tours avec Taki, et puis finalement il annonce à son tour qu'il quitte le groupe parce qu'il n'est plus trop motivé. Et simultanément, Arnaud revient dans le groupe.

Gaz / Lionel - Je me souviens avoir beaucoup milité pour son retour dans le groupe, ce qui a peut-être eu une influence. En plus, il s'entendait bien avec Denis. Arnaud a donc repris la basse et Denis est passé à la guitare. A eux deux, ils composaient de nouveaux morceaux. Je crois qu'Arnaud proposait des compositions et Denis apportait de vraies améliorations. Par exemple, il savait faire des petits solos, chose que ne savait pas faire Taki.

Joe Larsen / Taki - J'avais une nouvelle compagne, qui allait d'ailleurs devenir ma femme, et j'avais envie de sortir de ma post-adolescence, de construire une famille. Je savais que je ne ferais pas carrière dans la musique, et je commençais enfin à me poser la question de gagner ma vie. J'avais commencé une carrière de comédien et il fallait que je fasse un choix et me concentrer dessus. Ça n'a pas été sans douleur, mais c'était mon choix. Mon départ a permis a Denis de prendre une plus grande place dans le groupe. Il a pu proposer des arrangements plus intéressants à la guitare.

Nanor / Arnaud - Taki est un vrai romantique. Quand il tombe amoureux, il l'est à 100%. Il a rencontré une femme et le groupe ne lui a plus paru quelque chose d'excitant. J'ai du négocier mon retour dans le groupe avec ma copine. De toute façon, je venais à tous les concerts. Du coup, Denis a pris la guitare, qui était de toute façon son instrument de prédilection. Là, il a vraiment amené une nouvelle dimension au groupe, parce qu'il avait un jeu plus riche que celui de Taki.

Denis / Nydeu - Arnaud a un jeu de basse très particulier, et je n'étais pas très à l'aise pour le reproduire. Alors, lorsqu'il est revenu dans le groupe, j'étais très content parce que le groupe retrouvait cette couleur. Et moi, je pouvais plus me lâcher à la guitare.

Mardeloges / Gilles - Denis était un meilleur guitariste que Taki, qui pouvait même jouer avec cinq cordes en disant que la dernière ne servait à rien. Bon, vu le style qu'on faisait, ce n'était pas très grave.

 

La sortie du 45 tours, ça vous a fait quoi ?

Gaz / Lionel - J'étais fier de voir quelque chose de concret et de le partager avec des gens. C'est gratifiant de savoir que des gens apprécient ce que tu fais.

Denis / Nydeu - On a fait une séance photo au café de mon père. Certaines photos ont servi pour la pochette du 45 tours et d'autres pour la pochette intérieure de l'album.

Nanor / Arnaud - Je pensais qu'on pouvait en vendre mille, surtout du fait de la présence de Heimat-los sur l'autre face, et c'est ce qu'on a vendu.

Mardeloges / Gilles - Même si ce n'est pas moi qui ait joué sur l'enregistrement du 45 tours, j'étais sur la pochette et ça me suffisait.

Nanor, Mardeloges, Nydeu & Gaz.

Très vite après le départ de Taki, vous vous préparez à rentrer en studio pour l'enregistrement de l'album. Et là, Taki pensait qu'il allait faire la guitare sur l'album.

Gaz / Lionel - On lui a dit que ce n'était pas possible, puisqu'il avait quitté le groupe. Moi, je trouvais que c'était un peu un manque de respect envers le travail de Denis, qui avait beaucoup travaillé. Je n'avais aucune haine envers Taki, mais pour moi une page était tournée.

Joe Larsen / Taki - Ça a été difficile pour moi de ne pas participer à l'enregistrement de l'album, même si je comprends que ça se soit passé ainsi. Plus tard, je me suis dit qu'on aurait du, Denis et moi, enregistrer tous les deux les guitares. Ça aurait été une sorte de passage de relais, en quelque sorte. Et, comme on avait deux styles différentes, ça aurait pu donner un truc intéressant pour l'album.

Denis / Nydeu - Si Taki avait enregistré avec nous, à deux guitares, on aurait eu un son beaucoup plus riche et puissant. Et ça m'aurait fait très plaisir.

 

Quels souvenirs gardez-vous de l'enregistrement de l'album ?

Gaz / Lionel - On a beaucoup enregistré de nuit. L'ingénieur du son qui a fait les prises planait complètement. Et Christophe, qui a mixé l'album et qui, lui, était motivé, a bien vu que pas mal d'erreurs techniques avaient été faites aux prises de son. Je me souviens d'attentes interminables dans le canapé. Je n'étais pas très content de mes voix sur certains morceaux. J'aurais voulu les refaire mais le budget ne le permettait pas. Et puis, au mixage, ma voix est noyée sur le morceau " Sharks ", que je chantais en anglais. Je pense que c'était pour cacher le fait que je n'avais pas un bon accent anglais. Mais pour moi, dans l'esprit de Kromozom 4, ce n'était pas un problème.

Joe Larsen / Taki - Je n'ai pas participé à l'album, mais je l'ai trouvé vraiment bien. J'aimais beaucoup le jeu de guitare de Denis, qui était différent du mien. C'est un peu comme si j'avais redécouvert mes propres morceaux, et en même temps l'enregistrement reste fidèle à la période à laquelle j'ai participé. Et même en n'aimant pas les solos de guitare, j'ai beaucoup aimé ce qu'a fait Denis sur " La gueule dans le gâteau ". Personnellement, je préfère le son de notre premier enregistrement, mais le jeu de Denis amène vraiment une couleur en plus. Et puis, je suis venu faire quelques chœurs au studio, ce qui était sympa.

Nanor / Arnaud - J'ai été très déçu par cet enregistrement. D'abord, vu les moyens qu'on avait, on n'a pas eu de très bonnes conditions techniques. Il fallait déclencher l'enregistrement avec une baguette de batterie parce que le bouton était cassé. L'ingénieur qui a fait les prises de son devait être un stagiaire parce qu'il avait l'air complètement largué. On a eu une autre ingénieur plus consciencieux pour le mixage, mais comme on ne pouvait pas rester trop longtemps en studio, certaines séances duraient jusqu'au matin. Du coup, on n'avait plus d'oreilles. Et puis, Gilles était un moins bon batteur que Félus. Du coup, comme le son général n'est pas énorme, ça ne couvre pas l'approximation du rythme, et ça s'entend.

Denis / Nydeu - Taki avait un son particulier, très saturé, avec des larsens, et je voulais conserver ça, même si notre jeu de guitare était différent. J'ai pu apporter ma patte sur l'album, amener quelques idées durant l'enregistrement. Sur " La gueule dans le gâteau ", tout le monde avait envie qu'il y ait des solos sur le morceau. J'ai improvisé et ça a donné une touche en plus. Arnaud était à l'aise en studio et donnait des directions. Et j'écoutais beaucoup Gaz, parce qu'il avait une vraie idée de comment les morceaux devaient sonner. Et on se comprenait bien. Christophe, qui s'est occupé du mixage, n'était pas familiarisé avec le hardcore, mais il s'est bien investi et s'en est bien sorti.

Mardeloges / Gilles - Pour moi, c'était ma première expérience de studio et ça me stressait beaucoup. Je n'étais pas habitué à jouer avec un casque sur la tête et à m'entendre aussi bien. Du coup, j'entendais toutes mes imperfections. Et le fait de devoir faire la prise batterie en premier me mettait une énorme la pression. Je n'étais vraiment pas un pro. Par exemple, j'aurais du régler les toms de ma batterie avant l'enregistrement ou acheter des peaux neuves... je ne l'ai même pas fait. Une fois que j'ai fini d'enregistrer la batterie, j'ai pu enfin souffler et profiter de cette expérience unique. Je me suis senti privilégié et je n'ai eu que du plaisir. Denis avait une plus grande culture rock que nous. Du coup, il a fait quelques solos. Et puis, c'était une bonne idée de faire cet album avec Heimat-los, du fait de notre proximité. Et puis, de toute façon, on aurait pas pu remplir deux faces d'un vinyle à nous tout seuls. Ou alors, il aurait fallu jouer les morceaux moins vite et là on aurait pu faire un album complet (rires).

 

Et les sketchs entre les morceaux ?

Gaz / Lionel - Quand je les réécoute aujourd'hui, je pense que ce fut une erreur. Ça ne pouvait faire rire que nous. On les a écrit tous ensemble et je pense que le collégial n'a pas que du bon.

Denis / Nydeu - Les sketchs, c'était une idée de Gaz. Au début, c'est marrant, et puis à la longue, on se dit qu'on peut très bien s'en passer.

Nanor / Arnaud - Ce sont tellement des délires personnels que, même moi, lorsque je réécoute, je ne sais même plus à quoi ça fait référence. C'est l'exemple typique de ce qu'il ne faut pas faire.

Mardeloges / Gilles - On s'est autant marrer à les faire qu'ils sont chiants à écouter (rires).

Comment avez-vous réussi à obtenir un dessin d'Edika pour la pochette de l'album ?

Gaz / Lionel - Taki et moi étions vraiment très fans de ce mec-là. Et on trouvait que ses délires absurdes correspondaient bien à ceux du groupe. Je lui avais envoyé une lettre avec le 45 tours. Quelques temps plus tard, je vois une enveloppe dans ma boîte aux lettres avec mon nom, mon adresse, le code postal, France écrit en bas, et une petite flèche en-dessous avec écrit " c'est juste au-dessus de l'Espagne ". Je me suis demandé qui pouvait avoir écrit un truc pareil. J'ouvre l'enveloppe et j'y trouve un dessin dédicacé d'Edika. De là est né l'idée qu'on pouvait le contacter pour la pochette de l'album. On savait qu'il s'appelait Edouard Carali. Philippe a trouvé son numéro de téléphone et l'a appelé pour lui demander s'il était partant pour faire la pochette. Il a demandé quel était le budget, qui était évidemment très mince, et il a répondu que normalement il aurait pris 50 000 francs de l'époque, mais que finalement il le ferait gratuitement. Quand l'album est sorti, j'avais vraiment l'impression d'être dans la cour des grands... une pochette en carton, un super dessin, des conditions d'enregistrement qui étaient très bonnes pour l'époque.

Mardeloges / Gilles - Quand j'ai eu l'album dans les mains, je me senti fier et plus grand. Tous les groupes n'ont pas eu l'occasion de faire un album. Ce qui est marrant, c'est que je préférais la face de Heimat-los à la notre, parce que leurs morceaux étaient plus aboutis, plus réussis dans une vraie veine hardcore, là où nous on faisait plutôt du punk très rapide. J'ai préféré leur face, d'autant plus qu'il n'y avait pas de sketchs au moins (rires).

 

Vous vous souvenez de l'origine du titre du 45 tours et de l'album ?

Gaz / Lionel - " Partout où c'est qu'on passe c'est tout qu'on déroule ", ça vient d'une altercation entre Gogol Ier et Arnaud qui l'a déroulé (rires). " Rien ne sert de gâcher de la bande, il faut faire cuire son steak à point ", ça vient de Denis qui avait commencé un morceau à contre-temps en studio.

Denis / Nydeu - Arnaud avait été excédé par l'attitude de Gogol Ier à un concert à Conflans-Sainte-Honorine, où il avait cassé le matériel d'un autre groupe.

Nydeu, Mardeloges, Nounours, Gaz, Nanor.

Nounours & Nanor.

Comment s'est déroulée la fin du groupe ?

Gaz / Lionel - Philippe voulait chanter dans le groupe, avec des textes plus sérieux écrits en anglais, et trouvait que Denis et moi buvions trop sur scène. C'étaient de très bonnes propositions pour un autre groupe mais ce n'était pas le trip de Kromozom 4, et j'ai vécu ça un peu comme une prise d'otage. Effectivement, on n'aurait pas du faire des concerts dans cet état-là, mais de là à changer le groupe radicalement... autant faire autre chose ! Je n'avais aucune envie de partager le micro, de chanter des textes sérieux, de chanter en anglais, même si pour déconner on avait fait des textes en anglais, allemand et serbe, chantés en phonétique. Mais là, ce n'était pas la même intention. Donc j'étais en désaccord avec cette nouvelle formule, très énervé à presque vouloir en venir aux mains, ce qui aurait été complètement inutile. La situation s'est étiolée. Gilles pensait que les deux chanteurs était une bonne idée et Arnaud ne voulait pas vraiment prendre parti. Et de nouveau, il n'a plus été motivé par les concerts. J'étais vraiment énervé par la fin du groupe. Moi je voulais faire de la musique avec mes potes parce que les délires du groupe ne s'inventaient pas, c'était des délires entre potes. Et ça ne m'intéressait de chercher d'autres musiciens. Avec Arnaud, on a fait une tentative de lancer le premier groupe de rap français en 1988, Les Pipo's Boys, en utilisant le verlan de hip hop. J'avais acheté une boîte à rythme et on avait enregistré quelques morceaux. Mais ça s'est vite arrêté.

Denis / Nydeu - Je pense que le groupe avec deux chanteurs, ça aurait pu fonctionner, mais avec plus de travail. Mais ça s'est fait trop rapidement. Philippe était très influencé par le hardcore américain, et Minor Threat en particulier, et c'était difficile de ramener une influence si différente en si peu de temps. Et puis, je crois qu'il y avait d'autres choses... je ne pense pas que Gaz voulait partager le micro. Au dernier concert, à Beaune, il y avait une drôle d'ambiance et ça me foutait les boules. Durant le voyage en voiture, tu sentais une ambiance tendue. Gaz et moi avions beaucoup picolé. A la fin du groupe, j'ai commencé à apporter des compositions, mais elles n'ont jamais été enregistrées. La fin du groupe m'a foutu les boules. Je pense qu'on avait un potentiel. En même temps, on ne l'exploitait pas vraiment, parce que pour certains membres du groupe, c'était inconcevable de répéter plus d'une fois par semaine. Ensuite, je suis rentré dans Tears Of A Doll, le nouveau groupe d'anciens membres de Heimat-los.

Nanor / Arnaud - Pour moi qui n'avait jamais été vraiment fan de hardcore à l'anglaise, le fait que Philippe ramène une influence américaine à la Minor Threat me plaisait bien. Il y avait plus de mélodies et c'était un peu plus subtil. On a fait un concert à Beaune avec les deux chanteurs. Quand on a répété les nouveaux morceaux durant les balances (réglage du son avant un concert - NDLA), ça sonnait bien. Jean-Claude, le bassiste de Heimat-los est arrivé du fond de la salle et se demandait qui jouait. Quand il a réalisé que c'était nous, il nous a félicité. Après Après les balances, Gaz, Denis et moi, on a pas mal picolé. Résultat : le concert était nul ! De toute façon, Gaz n'avait pas envie de partager le micro et puis Philippe et lui s'entendaient moins qu'avant. De retour à Paris, Gaz avait mis au point une stratégie : à la prochaine répétition, il annoncerait qu'il quittait le groupe et comptait sur le fait que chacun le suive et que le groupe continue sans Philippe. Moi, je m'en foutais un peu de tout donc j'ai accepté. Mais cette stratégie n'a pas vraiment fonctionné. Gilles et Philippe ont formé un nouveau groupe, Apologize, avec lequel j'ai un peu répété, et on a perdu Denis en route. En plus, cette fois, je ne voulais vraiment plus faire de concerts dans de mauvaises conditions. Avec Gaz, on a répété quelques mois à deux pour un duo rap, avec moi à la guitare. Il avait acheté une boîte à rythmes, mais on n'avait pas de sampler. Ensuite, comme je me suis séparé de ma copine, je m'en suis donné à cœur joie dans différents groupes, dont les Rolling Bidochons.

Mardeloges / Gilles - Quand Philippe est venu faire un essai en tant que deuxième chanteur, moi j'étais très content. Gaz se cassait régulièrement la voix durant les concerts, et je le dis sans aucun reproche, d'autant moins que moi je n'étais vraiment pas un bon batteur. Je trouvais que la voix de Philippe apportait un plus. Il avait un style plus mélodieux et émotionnel, avec d'autres influences, plus américaines. Ça faisait avancer le groupe, mais en même temps le groupe n'était pas forcément prêt à avancer dans cette direction. Finalement, c'était sans doute mieux d'arrêter et de faire autre chose. Au concert de Beaune, ça se sentait que Gaz avait l'impression de se faire voler sa maison. Sur scène, le passage de l'un à l'autre selon les morceaux n'était pas naturel. Après ce concert, il y avait un peu Gaz et Denis d'un côté, Philippe et moi d'un autre, et Arnaud qui faisait la navette entre les deux camps. Gaz a rapidement dit qu'il quittait le groupe avec, j'ai l'impression, l'espoir de le poursuivre ou de le casser. C'était bien plus sain pour Philippe et moi de faire un nouveau groupe avec un nouveau guitariste, et on a monté Apologize. J'avais les boules de repartir de zéro, mais c'était mieux ainsi. Arnaud voulait contenter tout le monde. On a fait quelques répétitions avec lui et puis il est parti et on a pris un autre bassiste.

 

Qu'est ce que vous retenez de tout ça ?

Gaz / Lionel - Il ne faut jamais avoir de regrets. Je me suis bien éclaté dans des grands moments de plaisir et ça a été une bonne expérience. Je suis très étonné du fait que ça suscite encore de l'engouement, comme si ça avait laissé une petite trace. Le groupe Schlag de Bordeaux reprend " Le râleur " et un groupe croate, Tud Imbjecili, reprend carrément quatre titres de notre répertoire en chantant en yaourt. En plus, j'avais chanté le refrain de " Halloween " en croate. Ça fait super plaisir.

Joe Larsen / Taki - De Virus 77, mon premier groupe, à Kromozom 4, en passant par R.A.S., j'ai vécu sept années dans la musique. Il me reste de très bons souvenirs et le sentiment d'un effet thérapeutique incroyable.

Denis / Nydeu - Je retiens de tout ça les bons moments passés ensemble... c'était notre jeunesse. Et ça me fait plaisir que des gens se fassent plaisir sur notre musique.

Nanor / Arnaud - J'en retiens de bons souvenirs, comme les textes écrits collectivement en cadavre-exquis, le fait qu'on ait réussi l'enregistrement chez Bob Mathieu malgré l'absence de Gilles, ce moment lors des balances à Beaune où on a répété ce nouveau morceau avec Philippe qui correspondait plus à mes goûts musicaux... et puis le fait que ce soit une histoire de potes qui délirent ensemble.

Mardeloges / Gilles - Je trouve que la musique a pris un petit coup de vieux, mais j'en garde le souvenir d'une très bonne expérience. Pour moi, c'était très gratifiant de faire partie d'un groupe qui joue ses propres compositions. Et puis, très modestement, on a écrit un petit bout d'Histoire tous ensemble.

 

Interviews réalisées par Philippe Roizès