NFB
appartenait à la tendance la plus dure, la plus punk, la plus désespérée de ce
rock émergeant des années soixante dix. Nous voulions tout faire sauter. Nous
vivions dans nos ghettos HLM, ayant pour la plupart d'entre nous le même avenir
que nos parents. Le travail à la chaîne dans l'industrie automobile, moi-même
j'y travaillais déjà. Les différents médias s'emparèrent du phénomène punk rock,
le propulsant sous leurs projecteurs. L'onde de choc fracassa tout devant elle.
Enfants du rock et des cités ghettos posées ça et là, soumises à l'industrie locale,
regroupés dans nos sarcophages de béton, nous sommes entrés en guerre à travers
la culture punk. Cette semence ne pouvait que croître dans le terreau industriel
montbéliardais. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu'une génération, la
mienne, s'engouffre dans la brèche. Nous entrions de plein pied dans l'instant
T, marqués à jamais par cette nouvelle culture. Elle restera, par la révolution
qu'elle a générée, la vague la plus innovante de ses trente dernières années,
influençant toutes les couches de la société et les créateurs du monde entier
substitués aujourd'hui par du copyright ou des produits dérivés. Ce fut aussi
une explosion créative positive pour tous, à travers ce patchwork de looks personnalisés
où chacun pouvait se construire une identité caractérisée. Nous surfions sur l'actualité,
détonateur et source d'inspiration de notre "destroy attitude", favorisant l'éclosion
embryonnaire de la guérilla urbaine qui secoue aujourd'hui les banlieues contre
les spéculations foireuses du "big business" et de son frère "big brother". Vivant
au jour le jour notre grisaille et nos amours, devenus malgré nous les messagers
du "no future", fustigeant l'establishment, écorchés vifs, piqués au cœur, en
chemin vers nos désillusions, nous étions les punks de la première vague, nous
vivions tout cela à cent à l'heure. Notre message : "No future for you", héritage
de la première vague punk déifiée à travers les Sex Pistols et d'autres "fashion
victims" adeptes de la "punkitude". On nous surnommait les Sex Pistols français,
on commençait à être interdit de concert : scandales, provoc, bastons… La mayonnaise
avait pris. "Mets tes lunettes et écoute comme ça sent bon" : c'était notre slogan,
opportuniste non ? Complètement ingérables, oui ! Nous prêchions à qui voulait
l'entendre ce que nous vivions par procuration lors de nos concerts. On vociférait
sur notre quotidien – c'était comme une messe où les fidèles les plus "destroy"
accouraient. Les NFB incarnaient un état d'esprit. Nous formions un gang, une
tribu issue d'un territoire géographique qui était un "no man's land" dangereux
pour ceux qui ne nous ressemblaient pas. Selon les besoins du moment, c'était
tel ou tel bassiste qui jouait, tel ou tel chanteur qui intervenait. On a bien
eu jusqu'à trois bassistes, deux guitaristes, trois chanteurs, des acteurs, intervenants
du spectacle, coachs musicaux, metteurs en scène, plasticiens, etc., mais au départ
comme à l'arrivée, les NFB sont deux couples : Gigi et Jimmy, Laurence et René,
un bricolage impossible. Nous faisions de la résistance, bien plus encore c'était
de la survie, notre combat rock. Phrasant sur notre quotidien "sexe, drogue et
rock'n'roll", les gangs des diverses cités montbéliardaises descendaient dans
l'arène qu'on leur offrait. On savait d'avance que ça allait péter. La culture
"Kpon" n'a fait que passer, mais tout a explosé devant elle. J'ai mis des années
à m'en remettre, mais je ne regrette rien. Je me rappellerai toujours de cet enterrement
d'un ami "Kpon". A la fin de l'homélie funèbre, dans les allées de l'église, les
dealers proposaient leurs marchandises. Nous étions bien conscients que chaque
fois qu'une seringue perçait nos veines, nous jouions à la roulette russe. Tous
ceux qui faisaient partie de cette cour des miracles étaient des punks et des
junkies, des Dr Jekyll et Mr Hyde. Disciples de ce sulfureux mouvement, cassés
par tous nos crève-cœurs, remplis d'un profond dégout pour toutes institutions,
c'était le début des années quatre vingt. Nous vivions dans cette ambiance apocalyptique,
noyés dans l'alcool, la drogue, la violence, nos délires, nos insuffisances, le
chômage et la mort. C'était notre choix. |