Le
groupe R.A.S. a marqué la scène de son empreinte entre 1982 et 1984, tant par
une discographie skunk de bonne facture, dont le premier album oi ! à la française,
que par ses prises de position contre l'influence des nazillons parmi les skinheads
et quelques concerts mythiques. Mais avant R.A.S., il y eut un autre groupe. 1980...
la première vague punk rock s'est déjà sabordée, en Angleterre comme en France.
Mais, dans le même temps, dans la banlieue parisienne et un peu partout dans le
pays, des gamins trop jeunes pour avoir formé leur groupe en 1976, reprennent
le flambeau de l'excitation électrique. Les nouveaux venus, issus de milieux populaires
et des classes moyennes, pullulent, font quelques concerts dans des gymnases,
lycées, centres culturels de quartier et autres salles de fortune, avant de disparaître.
Virus 77, formé donc en février 1980, est une de ces formations éphémères, qui
laisse quelques titres, des rires et des souvenirs. Ces enfants de petits-bourgeois
d'Asnières et de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine) vibrent sincèrement au son de
quelques accords acérés et mélodies accrocheuses. Gamins passionnés de football,
Taki et Philippe taquinent déjà le ballon dans la même équipe, lorsqu'ils sont
touchés par la foudre punk. Dans la buanderie du pavillon familial des parents
de Taki, ils tâtonnent les premiers accords, sans batterie. Taki est à la basse,
Philippe au chant ou plutôt aux braillements et Vincent, un pote de classe, le
seul véritable musicien du groupe, à la guitare. Ils convoquent « Pretty Vacant
» de Sex Pistols et « London's Burning » de Clash pour étoffer leur maigre répertoire.
Rapidement, Philippe devient le manager du groupe, poste souvent réservé au pote
qui ne sait pas jouer d'instrument, Alain le remplace au chant et Jean-Louis prend
la batterie. Les premiers morceaux oscillent entre un punk rock très rock et quelques
riffs plus durs. Alain, cheveux au vent, biberonné à un rock plus conventionnel
et à la chanson française, rentre dans le nouveau moule pour l'éclate avec les
copains, et pour les filles, avoue-t-il. Beaucoup de titres de Virus 77 tournent
d'ailleurs autour d'histoires de filles (« Isabelle », « Mate la nana », « Aujourd'hui
madame ») ou de potes (« Les copains »).
Décembre 1980, certains membres du groupe font un petit voyage à Londres, le temps
d'acheter des disques, une chemise bondage à sangles pour Vincent, et de faire
quelques graffitis. De retour en France, une engueulade éclate entre Jean-Louis
et Vincent pour une histoire de quelques francs et ce dernier quitte le groupe
durant quelques mois. Tout rentre finalement dans l'ordre après l'été et Philippe
commence à chercher des concerts pour le groupe. Pour le premier, il n'a qu'à
sortir de chez lui, faire quelques mètres et demander au curé de l'église Notre-Dame
du perpétuel secours l'autorisation d'organiser un concert en octobre 1981...
joli paradoxe adolescent pour des fans de l'antéchrist Johnny Rotten. Stars du
lycée Renoir d'Asnières, Virus 77 remplit la salle sans mal avec Curse, un autre
groupe punk du coin (Gaz, le bassiste, s'occupe rapidement de transporter le matériel
du groupe parce qu'il est le seul à avoir une voiture, avant de rejoindre plus
tard les rangs de R.A.S. en tant que choriste puis de former le groupe hardcore
Kromozom 4 en tant que chanteur quelques années plus tard). Virus 77 ponctue ce
premier concert d'une reprise de l'instrumental très rock « Action Man » des Professionals,
le groupe de deux anciens Sex Pistols.
Arborant fièrement chemises customisées de slogans punk peinturés et t-shirts
craqués, Virus 77 donne une poignée de concerts dans la banlieue parisienne. L'année
1982 est prolifique avec le gymnase des Fossés-Jean à Colombes en février, le
lycée Renoir à Asnières en avril, le parc de Choisy-le-Roi en mai (bizarrerie
de l'époque, le groupe partage l'affiche avec Tri Yann, groupe mêlant folklore
breton et rock progressif, et François Béranger, chanteur à textes) et le dernier
à Gennevilliers en mai. Le groupe laisse quelques traces : quelques graffitis
autour de la gare de Bois-Colombes, un badge, un article dans le fanzine New Wave
(Aline et Patrice du fanzine font même le déplacement au concert du lycée Renoir
de Bois-Colombes), un passage sur une radio libre et quatre titres enregistrés
en studio (le même où plus tard enregistreront R.A.S., L'Infanterie Sauvage, Les
Cafards, Heimat Los, Kromozom 4). La sincérité et l'énergie donnent finalement
du charme aux limites évidentes de la voix, compensées par un son de guitare bien
gonflé et la qualité des mélodies.
Ce sont ces quatre titres demeurés totalement inédits durant 30 ans que le label
Mémoire Neuve édite aujourd'hui. « Quartier Nord », qui offre un bon riff imparable
et une mélodie entêtante, affirme une appartenance banlieusarde, entre le bahut
et le café. Le punk rock adolescent dans toute sa splendeur : « Ma vie ne fait
que commencer mais je crois bien qu'elle est ratée ». Le très rock « Arc-en-ciel
» souligne une écriture nettement plus poétique que la moyenne des groupes punk
de l'époque. « Direction néant » évoque le thème classique de l'ennui, le néant
devenant une porte de sortie, qu'il incarne le voyage ou le suicide. R.A.S. reprendra
l'expression du titre pour la conclusion de son morceau « Le gosse et le para
» et le refrain pour un autre morceau, « Jeunesse de la honte ». Enfin, « Symphonie
en boudin majeur », réquisitoire humoristique contre la légion sur une association
classique de la rythmique basse batterie sur des accords de guitare plaqués. Peu
à peu, chacun affine ses goûts musicaux. Pendant que Vincent ambitionne une évolution
plus technique et mélodique, Taki ne s'est pas remis de la découverte des groupes
plus prolos qui sévissent désormais en Angleterre, de Sham 69 à Cockney Rejects.
Virus 77 reprend d'ailleurs sur scène le fameux « Bad man » de ces derniers. Quelques
petites maladresses et jalousies, et un peu de lassitude fait le reste... la rupture
est consommée en mai 1982. Les projets de concert au fameux Golf Drouot à Paris
et d'un passage télé tombent en ruines. Taki et Jean-Louis adoptent déjà un look
plus oi ! À la fin du groupe et forment R.A.S. en septembre avec Thierry rebaptisé
Trevor, un autre pote du foot, déjà sacré photographe officiel de Virus 77, et
Nicolas, un skinhead fraîchement rencontré à la fac. Philippe les suit et poursuit
le management. Mais ça, c'est une autre histoire. Pour l'heure, Alain et Vincent
restent sur le carreau. Ce qui n'empêchera pas Vincent de faire tous les dessins
inclus dans la pochette intérieure du 45 tours de R.A.S.. Mais finalement, l'essence
du punk rock c'est bien de vivre l'instant intensément et non pas de faire des
plans de carrière. Aujourd'hui, ces braves garçons sont représentants, comédiens,
instituteurs ou journalistes, mais il leur reste dans un coin de la tête et du
cœur une petite place pour leur premier coup d'éclat de jeunesse... Virus 77. |